Paul
Vérola, Le Livre
Essai de rimes lointaines
A Octave Uzanne.
Sans clarté, dans la nuit profonde,
Les paysages les plus beaux
Ne sont, pour le regard de l'homme,
Qu'un trou vide comme la mort.
Aussi, quand nul oeil ne les sonde,
Chaque livre est un vain tombeau
Où dort d'un léthargique somme
Une âme qui peut vivre encor.
Mais dès qu'apparaît l'aube claire,
Prés verts et bois mystérieux,
Nappes d'eau, radieux nuages,
Tout fleurit dans les yeux humains
Aussi, dès qu'une âme, l'éclaire,
Le livre surgit, glorieux,
Et de chacune de ses pages
Se dressent des âmes, soudain,
L'une est gale et l'autre est morose ;
L'une vous traîne sur le soi,
L'autre, du monde vous délivre
Et vous fait planer sur les mers ;
Mais qu'elles soient la morne prose
Ou bien les vers au large vol,
Toutes veulent jaillir du livre
Et faire encor vibrer des nerfs.
Sous les cyprès des cimetières
Les corps, étendus pour toujours,
Ne sont plus qu'une écorce immonde
Que rien ne pourra réveiller
Ouvrez, interrogez les bières ;
Inondez-les d'air et de jour
En est-il une qui réponde ?
Sur elles, à quoi bon prier ?
Quoi? l'Etre, sorti du stuaire
Nous fait signe qu'il est là-bas,
Et nous nous attachons aux hardes
Dont il vient de se dépouiller?
O livre, divin sanctuaire,
Coeur immortel qui toujours bats,
C'est vers toi qu'il faut qu'on regarde,
Sur toi qu'il faut s'agenouiller !
Sur toi, l'essence de nos âmes,
Sur toi, l'essence de nos coeurs,
Sur toi qui, pour tout jamais, graves
Les instants aux traits fugitifs,
L'arôme dont nous nous grisâmes,
L'espoir aux coups d'ailes vainqueurs,
Sur toi, front souriant ou grave,
Oeil enthousiaste ou craintif !
Mieux que ceux qui vont à l'église
Prier pour le repos des morts ;
Mieux que les embaumeurs antiques
Eternisant de viles chairs,
Sont religieux ceux qui lisent,
Qui font l'aumône de leur corps
A ces milliers d'âmes mystiques
Qu'ils ressuscitent dans leurs nerfs.
© Textes rares
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