Le monde entier connaît le célèbre
Denon, le voyageur en Égypte, l'éditeur du grand ouvrage
des Antiquités égyptiennes,
publié en 1802, en deux magnifiques volumes in-folio. Comme vous
possédez un exemplaire de l'ouvrage français (1),
avec de très bonnes épreuves, je ne vous dirai rien sur
ce sujet, si ce n'est que je regarde cet ouvrage comme l'un des plus
beaux qui est paru en son genre, sous le rapport de l'art ; mais l'auteur
avait encore d'autres droits à la considération et à
la faveur du public. Il fut l'ami intime... et certainement le confident
secret de Bonaparte, dans tous les projets qui avaient rapport à
l'acquisition de tableaux et de statues, et certainement il remplit
avec habileté la tâche qui lui fut confiée. Là-dessus,
je désire écarter toute question de droit. Il avait près de soixante ans lorsqu'il
suivit son maître dans l'expédition d'Égypte, ce
qui prouve au moins, et son énergie et les sentiments qui l'animaient
en cette circonstance. Mais Denon a beaucoup voyagé en Europe
; il est entré dans tous les cabinets publics et particuliers,
et a rapporté dans sa patrie les fruits nombreux de ses recherches,
qui sont en même temps des preuves de son goût. Sa maison,
sur le quai Malaquais, est le rendez-vous de tous les amateurs anglais
qui ont des lettres de recommandation ; et c'est rendre justice à
M. Denon de dire que jamais personne ne supporta avec plus d'aisance
et de meilleure grâce les petits inconvénients qui doivent fréquemment résulter
de sa facilité à recevoir tant d'étrangers dans
sa maison. J'ai quelquefois trouvé ses salons remplis de messieurs
et de dames anglaises ; et un jour, par hasard, je me trouvais à
la tête de vingt-deux personnes, parmi lesquels étaient trois
officiers anglais, et un plus grand nombre de membres de nos deux Universités.
J'avouerai qu'en nous recevant, il me tira doucement à l'écart
pour me faire cette observation "Mon ami, quand vous viendrez une autre
fois, ne commandez pas, je vous prie, une armée si nombreuse,
je m'imaginerais encore être en Égypte ;" ce qui était
encore plus embarrassant, c'est qu'il se trouvait déjà
une autre compagnie anglaise et aussi nombreuse que la nôtre.
Il ne me fit cependant aucune autre réprimande sur mon indiscrétion.
Nous avons échangé deux fois nos cartes de visite avant
de nous rencontrer. La carte de Denon méritait bien d'être
conservée, comme témoignage de la modestie de celui qui
l'avait remise. Elle ne portait que son nom seul, Denon, d'où
l'on pouvait conclure qu'il n'y
a qu'un Denon (2).
Le propriétaire de la collection dont je vais vous donner la
description est certainement un
peu passé (3) en années ; mais sa
physionomie annonce une bonne constitution et une bonne santé.
Il a les yeux petits, gris et brillants ; les dents blanches et régulières.
Il est ordinairement habillé de noir, et toujours comme un homme
de bon ton. Il est d'une taille moyenne, bien prise. Sa démarche
est à la fois légère et assurée ; ses manières
sont tout-à-fait prévenantes. Comme il n'entend nullement
l'anglais, il ne peut ni le lire, ni le parler. Un de mes amis lui avait
remis une lettre de M. S* B*, qu'une dame de notre société
lui lut sur le champ, et Denon (qui a toujours une vive et respectueuse
affection pour l'auteur de cette lettre) s'attacha plus particulièrement
à cette dame pendant tout le temps de notre visite. Il est vrai
qu'elle fit des remarques pleines de justesse sur la collection. Je vais maintenant vous donner une idée
de ce curieux cabinet. On monte par un escalier en pierre, grand et
commode (ce qui n'est pas commun à Paris), et l'on s'arrête
au premier : autre avantage fort rare à Paris ; car
"donnez-vous la peine de monter au second,
ou au troisième,
ou quatrième," n'est que trop souvent la réponse de M.
le concierge, lorsqu'on demande la demeure de quelqu'un. La collection
occupe une demi-douzaine de pièces spacieuses, aérées,
et bien meublées, comme vous allez le voir. La plupart de ces
pièces ont vue sur la Seine. La première renferme des
bustes en bronze, et des tableaux de Téniers, de Watteau, et
de l'école moderne de Paris. Parmi ces tableaux, le Watteau est
plus remarquable par sa grandeur que par son mérite. Les deux
Téniers sont légers et brillants ; deux esquisses de cochons
et d'ânes sont de précieux morceaux de cet artiste. Dans
un coin est placée une momie de femme renfermée sous glace,
et dont les tégumens sont conservés dans un panier. On
regarde cette pièce comme également rare et curieuse.
M. Denon en montre, avec un air de triomphe et une satisfaction admirable,
le pied, qui n'est absolument que muscles et os. Il le regarde comme
aussi beau que celui de la Vénus de Médicis ; mais il
ne faut pas disputer ici des goûts. Parmi les bustes se trouve
celui de West, de Neckar, et celui de Denon lui-même, que j'appellerai
Denon premier. La seconde pièce contient une admirable
collection de curiosités phéniciennes, égyptiennes,
et autres de l'Orient ; et dans le coin, à gauche, est un meuble
à tiroirs, rempli de médailles fort curieuses dans tous
les genres, et des personnages les plus remarquables, principalement
du seizième siècle. Au-dessus du médaillier est
un portrait du propriétaire de la collection, que je nommerai
Denon second.
Cette pièce offre une variété d'objets fort intéressants.
Du côté de la cheminée sont placés plusieurs
bustes, dont les plus remarquables sont ceux de Pétrarque et de Voltaire ; le premier en bronze, le second en terre cuite,
chacun de grandeur naturelle. La physionomie de Pétrarque est
tellement insignifiante, qu'on ne peut s'étonner que Laure n'ait
pas répondu à sa passion. Le buste de Voltaire nous parut
le meilleur de tous ceux qui existent. Il est plein de caractère
et offre un mélange étonnant de malice, d'esprit et de
génie (4).
La troisième pièce est plus grande, et la plus richement
ornée de peintures. Suivant mon faible jugement, un petit tableau
ovale de la Sainte-Famille, du Guerchin, me paraît l'emporter
sur tout le reste. Les Ruisdaël et Both sont très inférieurs.
En approchant de la cheminée, l'attention est vivement attirée
vers une petite figure de bronze, en pied, qui représente Bonaparte,
appuyé contre une table, et la main droite posée sur son
front (6). Des cartes et un compas sont sur la table.
Je crois qu'il est représenté dans sa chambre, pendant
sa traversée en Égypte. Y a-t-il ici quelque autre figure
qui le représente, dans la même situation, à son
retour ? Quoi qu'il en soit, l'exécution de celui-ci
est admirable. C'est aussi dans ce salon (si je m'en souviens bien),
que se trouve encore un buste de l'ex-empereur, en marbre blanc, par
Canova. Il est représenté plus fort que nature, la figure
jeune, et les joues un peu creuses. Les bustes de Louis XVIII et du
duc de Berry sont aussi dans la même pièce, comme pour
contrebalancer l'effet du premier ; mais ceux-ci ne sont qu'en plâtre.
Je n'omettrai pas de vous dire qu'il y a encore ici un portrait du propriétaire,
qui sera, si vous le voulez bien, Denon
troisième. On entre ensuite
dans une espèce de petit boudoir qui renferme, à mon avis,
les morceaux les plus précieux et les plus curieux que possède
le baron Denon, sous le rapport de l'art. C'est une suite des productions
de la peinture des différentes écoles, depuis le commencement
de la renaissance de l'art jusqu'à l'école qui a précédé
l'école actuelle. Cette suite commence par ce qu'on appelle les
Giotto et Cimabué, et finit par un superbe tableau d'un groupe d'enfans,
ouvrage d'un artiste français (7), mort précisément
avant que notre Reynolds se fût fait connaître. On croit
très réellement que ce dernier tableau est sorti du pinceau
de sir Joshua lui-même. Parmi les productions de l'ancienne école,
je remarquai particulièrement la tête de Pisani,
le premier graveur en médailles
du quinzième siècle, peinte par Antonello de Messine,
élève de Jean Van Eyk. Cette tête est pleine de
naturel et de caractère. Je ne pouvais m'en détacher.
"Serait-il possible d'obtenir une copie de cette peinture ?" demandais-je
au propriétaire. "Je vous entends, répliqua-t-il, vous
désirez emporter cette copie dans votre pays, et l'y faire graver
? - Très certainement, ajoutais-je. - C'est à votre service
; Laurent la copiera admirablement." Je savais à peine comment
exprimer mes remercîmens à M. Denon (8).
Il y avait une autre tête... ; mais non omnia possumus omnes,
je veux parler de celle d'une femme, vue de profil, pleine d'expression,
peinte par Masaccio. "Quoi ! me dit M. Denon, voulez-vous aussi une
gravure de cette tête ? Elle est déjà retenue, et
par moi-même. Enfin, tout ce que vous voyez dans ces pièces
(y compris même votre favori Pisani) sera lithographié dans ma collection, que je publierai." En conséquence
de sa déclaration, je dus m'observer. Mais il se trouvait encore
une chose, dont je voyais, dans cette collection,
une telle variété, que M. Denon ne pouvait m'en refuser
une copie. Qu'était-ce donc ? Un portrait de lui-même,
en marbre, à l'huile, ou en émail. "Choisissez, me dit-il,
faites ce que vous voudrez ;" et il fut convenu que M. Laguiche ferait
un dessin du buste en marbre blanc (sculpté, je crois, par Bosio),
qui est d'une ressemblance parfaite. Il y a encore un grand et magnifique
portrait de Denon, revêtu de toutes ses décorations, et
peint sur émail par Augustin et c'est peut-être le plus
parfait en ce genre qui existe en France de cet artiste. Il y a déjà
quelques années qu'il est fait, et alors Denon avait les joues
plus pleines et plus de feu dans les yeux. Nous pouvons donc dire que
cette salle renferme Denon quatrième
et Denon cinquième.
Dans la même pièce, on remarque une fort belle pièce
manuscrite sur papyrus, apportée d'Égypte. Toutes les
curiosités qu'on apporta de ce pays (comme il est facile de le
supposer) sont nécessairement précieuses et en grand nombre
; mais mon attention se porta sur des objets de l'art plus intelligibles.
En face du buste de Denon est
placé celui de son ancien maître, l'ex-empereur, en bronze
; et au-dessus de ce dernier est un petit tableau de Lucas Cranach.
Il représente un mendiant qui demande l'aumône à
une femme (9). Il y a une expression forte dans ce
tableau. Cette pièce, ou une autre voisine (j'ai oublié
laquelle), contient la collection des gravures de Marc-Antoine, ou de
Rembrandt, ou de tous les deux ; collection qu'on dit être sans égale. Je ne saurais dire laquelle de ces deux collections
est la plus précieuse, ou si l'une et l'autre sont supérieures
à celle que possède notre British Museum des mêmes maîtres. Je demandai un
matin à jeter un coup d'oeil sur ces Rembrandt. Nous étions
seuls ; nous venions de déjeuner ensemble. M. Denon me fit voir
deux différentes épreuves du Paysage au carrosse, et deux grands Coppenol avec fonds
blancs, différents un
peu l'un de l'autre. "C'est assez, m'écriais-je en élevant
les deux mains, vous surpassez tout ce qu'il y a en France et en Angleterre."
De là on entre dans une quatrième pièce, qui est
la chambre à coucher de M. Denon. Près de la cheminée
on voit un grand nombre de jolies petites productions de l'art du dessin.
Il y a entre autres de petits Watteau précieux, que surpasse encore, à
mon avis, un petit Sébastien Bourdon,
sujet de Sainte-Famille. Dans un coin un peu trop sombre, se trouve
un petit portrait du Parmegiano, vu de profil, plein d'expression, et qui , ce
me semble, n'a jamais été gravé. Ce sont là,
je crois, les bijoux de prix de cette chambre à coucher, si j'ajoute
encore quelques petits bronzes anciens, et un émail ou deux de
Petitot. On revient alors sur ses pas, et l'on passe dans une cinquième
pièce, garnie de bons tableaux assez modernes, et dans laquelle
se trouvait, si je ne me trompe, un portrait à l'huile (10)
du propriétaire, auquel je donnerais le nom de Denon septième (11). C'est ici que le maître
de la maison se tient habituellement, et c'est ce qu'il appelle son
atelier. Ses tiroirs et ses portefeuilles sont probablement remplis
de gravures et d'anciens dessins, dont le nombre est immense, et, suivant
M. Denon, d'une valeur inappréciable. On passe encore dans une
autre chambre un peu moins bien garnie, ou en déshabillé. Entre autres gravures, j'ai remarqué celle
de feu M. Pitt, d'après le portrait en pied d'Edridge. Une particularité
assez singulière, c'est que cette gravure fut trouvée
à bord de la première prise (une frégate) que firent
les Français dans la dernière guerre ; et le capitaine
pria M. Denon de l'accepter. Je vis aussi dans la même pièce,
si je m'en souviens bien les gravures de M. Fox et de lord Nelson (12)
; mais ce qui attira surtout mon admiration, mêlée presque
d'un sentiment d'incrédulité, ce fut de voir trois ou
quatre grandes gravures, d'après Rembrandt et Potter, que M.
Denon m'assura être des productions de son propre
burin. J'avais de la peine à
le croire ; c'était néanmoins la vérité.
Quelles que soient les opinions de M. Denon sur les beaux-arts, comme
antiquaire ou comme juge de l'époque actuelle, personne, à
moins d'être aveuglé par les préjugés, ou
animé par une antipathie nationale, ne lui refusera un beau zèle,
un grand talent, et un grand jugement pour tout ce qui embrasse les
arts : sa magnifique collection prouve évidemment qu'il possède
toutes ces qualités.
Je vous ai ainsi rapidement conduit à travers les pièces
qui contiennent un si grand et si précieux assemblage de tableaux,
de bustes, de bronzes, de curiosités antiques, de dessins, d'estampes,
qui ne sont pas seulement la propriété de M. Denon, mais,
j'ai presque dit, de tout le monde. Toujours on peut aller visiter ces
trésors ; on est sûr d'en trouver un accès facile,
et d'y être reçu avec une parfaite urbanité. "Mais,
allez-vous dire, cet amateur célèbre n'a-t-il pas une
collection de livres, une bibliothèque ? - Il a bien au moins
un Missel ou deux ? Voilà tout, mon ami ; mais de bibliothèque,
point ; car de même que "une seule hirondelle ne suffit pas pour
annoncer l'été," de même que trois ou quatre solides
volumes avec miniatures ne constituent pas une bibliothèque.
Cependant tout ce qu'il possède en ce genre m'a été
montré, et a été l'objet de quelques notes que
j'ai prises sur les lieux mêmes : les voici.
Je vis d'abord un petit Missel, très joliment exécuté
en caractères gothiques, de forme italienne, dans le genre de
feux de Jenson et d'Hailbrun. Les miniatures du Calendrier sont fortement
endommagées. Sur le dernier feuillet de ce calendrier, on lit
la note suivante, imprimé en capitale romaine DEUM TIME, PAUPERES
SUSTINE, MEMENTO FINIS. Sur le verso du feuillet suivant est une grande
tête de Christ, supérieurement peinte ; mais la partie
inférieure de la figure est relativement beaucoup trop petite,
semblable sous ce rapport à une figure du même genre qui
se trouve dans un Missel du duc de Devonshire, que j'ai décrit
dans un autre ouvrage (13). Le Crucifiement, deux
feuillets après, est une peinture d'un grand effet, et bien touchée.
Viennent ensuite les drôleries ; c'est une suite de sujets des plus bizarres
; mais d'une exécution charmante. On ne peut trouver rien de
plus parfait en tout point que les animaux, les oiseaux, les insectes,
les fruits et les fleurs qui en font partie. Le Vélin, par sa
couleur et sa qualité, en relève admirablement l'éclat.
Il s'y trouve plusieurs miniatures d'assez grandes dimensions comparativement
au livre ; quelques-unes avec de très petites figures, et deux
(l'une de Saint-Jean Baptiste, et l'autre du Christ injurié)
qui sont d'une grande force de couleur ; les initiales sont bien composées,
et délicatement touchées. Ce volume en miniatures n'a
que quatre pouces de haut sur deux pouces neuf lignes de large environ.
Il est relié en velours rouge, avec les garnitures en argent,
orné de tête de chérubins. Il est fermé par
une agrafe d'argent sur laquelle est peinte une tête de Christ,
que je crois de la même époque. M. Denon me dit que c'était
en Italie qu'il avait acheté ce petit bijou 400 francs, à
un libraire.
Il possède un autre Missel d'un demi pouce à peu près
plus haut et plus large que le précédent, dans une reliure
ancienne, avec des ornements estampés. Les marges sont garnies
de fleurs, de fruits et d'oiseaux, touchés avec beaucoup de grâce
et de vérité. Plusieurs bordures ont un fond d'or, relevé
de brun, sur lequel se déploient richement les fruits, qu'on
croirait être en relief. D'autres sont ornés de figures,
et rien ne surpasse celle qui entoure le sujet de la Tentation de nos
premiers parents : elle est vraiment digne d'être copiée
; mais non en lithographie ! Elle se trouve sur le quarante-cinquième
feuillet. Une des têtes de la bordure ressemble à celle
de votre roi Edouard VI. Le troisième volume manuscrit avec miniatures,
qui appartient à M. Denon, est peut-être le plus précieux
de tous. C'est un volume in-4°, écrit en espagnol, qui porte
la date de 1553. L'écriture est en lettres rouges et noires alternativement.
Ce volume renferme plusieurs grandes miniatures, et des bordures coloriées
; et M. Denon m'a dit que c'était ce livre même sur lequel on prononçait les sermens
d'initiation à l'inquisition d'Espagne. Il est dans un état de conservation parfaite.
Le premier grand sujet peint représente un Saint, dont le crâne
est partagé en deux par une épée ; le sang en coule
abondamment. Une palme et trois couronnes sont dans sa main droite ;
dans sa gauche est un livre, au haut duquel on lit Exurge,
Domine, et judice causam tuam. Le Saint est entouré d'une bordure de
fruits et de fleurs. C'est la plus belle miniature du volume. Il est
dans sa première reliure, en cuir noir, avec des ornemens estampés,
des garnitures et des agrafes. On lit en marge cette note manuscrite
Ynoscan obligados asseruier cagome
off.° de ella salbo si de su volundad loquisier en servi.
Mais ce n'est là qu'une
partie des trésors en livres du baron Denon ; mais très
probablement ce sont les meilleurs morceaux de sa collection de livres
avec miniatures. Avec les occasions qui ont dû s'offrir dans les
pays étrangers, il n'est peut-être pas très extraordinaire
que monsieur Denon, homme de goût, et investi d'un caractère
public, soit parvenu à former une collection tous genres, telle
que nous la voyons. Mais il faut louer ceux qui méritent des
éloges. Denon pouvait consacrer son temps et son argent à
des acquisitions beaucoup moins recommandables. Il pouvait également
déshonorer son goût et son caractère par des actes
mal entendus de spoliation et de rapacité (14).
Tout ce qu'il a fait, en général, a été
bien fait ; et l'urbanité et l'obligeance avec lesquels il ouvre
son cabinet, et fait voir toutes les curiosités qu'il renferme,
méritent la reconnaissance de tous les amateurs étrangers
ou indigènes. Il n'y a pas longtemps qu'il a exécuté
quelque chose d'assez bizarre. Il s'est représenté lui-même
dans cette période de sa vie, depuis son enfance jusqu'à
sa vieillesse. Ces représentations sont décrites sur une
espèce de drapeau attaché aux bois de la faux que tient
le Temps, les ailes déployées. Une Folie se saisit de
son sablier. Plus bas, il caresse encore Cupidon. Le fond représente
un paysage couvert de neige. Denon a lithographié ce sujet, et
m'en offrit une épreuve sur un papier de couleur, qu'il avait
retouchée au crayon. C'est une sorte de capriccio qui ne mérite ni louange ni blâme.
L'auteur ne s'est rien moins que flatté dans la plupart des portraits
qu'il a faits de lui-même.
NOTES DU TRADUCTEUR
1. Il a été traduit en anglais, et
publié en Angleterre, dans un format inférieur pour les
planches et le texte. Mais on en a fait une réimpression avec
un volume de planches in-folio, paru aussi en 1802. Peu d'ouvrages dans
le temps eurent une plus grande vogue, ou reçurent un accueil
plus flatteur.
2. Ces mots sont imprimés en français
dans l'ouvrage anglais.
3. Ces mots sont également en français
dans l'original.
4. Ce buste, en terre cuite, a été
modelé d'après nature, par Pigalle. Il a servi de modèle
à la tête de la statue de Voltaire qui est dans la bibliothèque
de l'institut.
5. C'est un Ruisdaël de la plus grande beauté
; et monsieur Denon, ainsi que tous les connaisseurs, le mettent au
rang des tableaux les plus précieux.
6. Ce n'est pas cela : la main droite, qui tient
un compas, est posée sur la table ; la main gauche était
appuyée sur la cuisse gauche.
7. Ce tableau est de Procaccini.
8. Entre
autres échantillons du talent de Pisani pour la gravure en médailles,
M. Denon possède une tête de P. CANDIDUS, STUDIORUM HUMANITATIS
DECUS. Elle est en bronze, la tête vue de profil. Au revers, autour
d'un livre ouvert auquel sont suspendus plusieurs glands, on lit : OPUS
PISANI, PICTORIS. Serait-ce le même P. Candidus, qui a traduit
l'Histoire grecque d'Appien, dont Vindelin de Spire a publié
la première version latine en 1472, in-folio ? Cela me paraît
très vraisemblable.
9. C'est au contraire un homme qui tient une bourse
pleine, et qui cherche à tenter une jeune femme.
10. Peint par M. Robert Lefèvre.
11. Cette énumération affectée
des portraits de M. Denon ne s'accorde guère avec ce que monsieur
Dibdin a exprimé ci-dessus, à propos de la carte de visite
de cet amateur distingué.
12. Il n'y a point de Nelson.
13 Voyez Bibliographical Decameron,
tome I, page 97.
11. Etrange
manière de louer ! Il est vrai que monsieur Dibdin s'applaudit
fort d'être resté seul dans une bibliothèque sans
que sa conscience ait aucun reproche à lui faire (Voyez, ci-après,
Lettre XXXV, sur Strasbourg).
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