Présentation
Au temps des Mazarinades, il suffisait, pour vendre n'importe quoi,
de l'imprimer in-4°, sur du papier à chandelle, et de le
crier dans les rues ; les passants, qui s'attendaient à du Mazarin,
achetaient tout ou à peu près, et M. Moreau, le catalogueur
juré de touts ces pièces éphémères,
a dû, par suite de la conformité d'époque, de format
et de vente, donner place dans sa curieuse bibliographie à plus
d'une pièce qui n'avait rien de politique, mais qui s'était
publié et conservé avec les autres. C'était une
spéculation du genre de celle qui a eu grand cours après
1848, la fabrication en grand de médailles archi-révolutionnaires,
destinées à être cataloguées et gravées
pour s'imposer de force aux collectionneurs. La Rymaille qu'on va lire
n'a pas une importance plus réelle ; ce sont deux feuillets
in-4°, un pour le titre et un pour les vers, si l'on peut donner
ce nom à de méchantes lignes mal pensées et mal
rmées, pour lesquelles l'auteur, ou plutôt l'imprimeur,
ne s'est pas mis en grands frais ; il lui suffisait d'en tirer quelques
patards, et il serait fort étonné que M. Colomb de
Batines - en 1842, selon M. Moreau (n° 3550), - que M. Léon
de Laborde, dans ses curieuses notes sur le palais Mazarin (p. 194-5),
et qu'enfin cet Annuaire, qui la recueille à son tour à
cause du titre, fassent à cette niaiserie, dont l'édition
originale est presque une rareté, recommandation des plus suffisantes
aux yeux de certains curieux, l'honneur de la réimprimer à
deux siècles de distance.
En effet, bien qu'elle soit à peu près découpée
dans le chapitre que le Père Jacob a, dans on Traité des
plus célèbres bibliothèques, publié en 1644,
consacré aux collections parisiennes, - et ce chapitre, comme
aussi les vers de Marolles dans son bizarre volume de quatrains sur
Paris, serait la meilleure annotation de la pièce de 1649, si
elle méritait vraiment d'en avoit une,- la Rymaille ne se peut
pas prendre pour un document bien sérieux ; le plus grand
nombre de bibliothèques citées sont réelles ;
mais n'est-ce pas une pure fantaisie poétique que de mettre les
historiens, les poëtes et les burlesques chez Mézeary, chez
Scudéry et chez Scarron ? Les noms appelaient trop naturellement
la nature des livres qu'on pouvait leur attribuer.
L'auteur s'est caché sous le nom du Girouague, ou plutôt
du Girovague, du Promeneur simpliste, du latin gyrus, cercle, conservé
dans l'italien girare, et personne n'a dit son nom.
Il était certainement prêtre, puisque le nom même
de Girovagues s'est appliqué à des religieux qui ne font
partie d'aucune maison, et vont de monastère en monastère.
De plus, il a demeuré à la Chartreuse de Paris, où
il était peut-être attaché au parti de Gaston, car
je ne vois pas d'autre moyen de rendre compte de la dédicace
" à la foule qui se promène dans le beau jardin d'Orléans",
c'est-à-dire du palais du Luxembourg. D'un autre côté,
je verrais volontiers, dans cette pièce, l'oeuvre d'un hébraïsant ;
la présence de caractères hébreux dans une note
aussi pédante et aussi nécessaire que possible, la connaissance
et la préoccupation évidente d'ouvrages hébraïques
et de collections en cette langue, me le feraient supposer. Mais de
là au nom il y a loin. Un distique, dans cette sorte de vers
rapportés, auxquels Tabourot a consacré le 13e chapitre
des Bigarrures, et venant, on ne sait trop pourquoi : " Rabbinus déteste
la méchanceté, aime la paix, punit les crimes, conserve
les droits, honore les gens de bien, " est une énigme encore
plus qu'une épigraphe. Voir dans Rabbinus l'anagramme de Barbinus
n'avacerait à rien, car en quoi le libraire Barbin satisferait-il
à toutes ces conditions ?
J'y verrais plutôt la traduction du nom de cet abbé Rabbi,
cité pour savoir tout l'hébreu ; s'il a réellement
existé un abbé Rabbi, ce que je ne sais pas et ce que
la postérité se passera de très-bien savoir au
juste, ce serait lui ou un de ses amis qui aura broché la pièce
pour y glisser ce nom et lui donner le plaisir d'être imprimé
en illustre compagnie. En même temps si elle n'est pas contre
le cardinal :
Tous studieux ont un magasin
Chez le cardinal Mazarin,
elle doit avoir été écrite, in cauda venenum,
pour jouer un tour à l'abbé Des Roches et à M.
le Ragois de Bretonvilliers, président de la Chambre des Comptes
qui avait, en effet, une bibliothèque dans sa belle maison de
la pointe de l'île Saint-Louis. Autrement, comment, à la
fin, expliquer le lardon aussi peu correct que spirituel :
les livres Des Roches ont belle couverture
Mais leur maistre n'en donne science ny lecture ;
et le suivant :
Tout rebut chez Breton-Villiers,
qui ne sont nullement préparés par la sèche, et
élogieuse banalité de toutes les mentions précédentes
? La pièce aurait alors été faite pour servir,
sans en avoir l'air, une petite vanité et une petite vengeance
personnelles, sentiments à peu près aussi honorables l'un
que l'autre, surtout quand ils sont réunis, mais qu'on a beaucoup
vus, et qui continuent à se porter à merveille.
Anatole de Montaiglon
© Textes Rares, 1998
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