LETTRE
I
Au
Duc de Nevers
En réponse
à deux lettres en vers qu'il avoit écrites au sujet
de la petite vérole que le duc de Vendôme eut à
la Charité sur Loire en 1680 (1).
Pour répondre
à vos deux en ime,
Dont
cette dernière amplissime
Pousse ime à
toute extinction,
Son altesse Sérénissime,
Et de plus microcroutissime
(2),
D'autant qu'aviez
l'intention
De venir moins,
comme Hermotime,
En visite qu'en
vision
Foleter dans l'infectissime
Chambre de son
affliction,
Vous récrit
qu'obligatissime
De viscère
et de parenchyme
Elle est à
votre affection,
Comme à
présent saluberrime,
Plus que ne l'étoit
l'ipsissime
Faculté,
devant qu'Albion
Vous donnât
sa probatissime
Et fébrifuge
potion.
Plus encor, Duc
humanissime,
Vous mande le décroutissime
Et très
guéri Césarion (3),
Hormis d'une ésurition
Très contraire
à Quadragésime,
Que près
de vous chacun est grime
En poétique
invention;
Et qu'ainsi, sans
fard et sans frime,
Il a plus d'admiration
Pour la vive façon
dont rime
Moriez (4) le héros
dudit ime,
Que jadis n'eut
de passion
Pour le rapsodeur
d'Ilion,
Qu'il mit comme
auteur qui tout prime
Dans un étui
d'un million,
Celui (5) dont
fut l'ambition
Telle que, pour
être isotime
À la céleste
nation,
Il préféra
l'illégitime
A la royale extraction
Et se fit un père
anonyme,
Et de plus cornutissime,
Dans l'aréneuse
région.
De vrai, pareil
au chantre rare (6)
Qui sut la Grèce
ensorceler
Des jeux, que vint
renouveler
Iphyte avec tant
de fanfare (7);
Si haut Moriez
s'élève en l'air,
Qu'après
lui qui voudroit voler,
Par quelque cascade
bizarre,
Feroit de son nom
appeler
Une mer lointaine
et barbare,
Comme la Russe
ou la Tartare,
Où le marchand
n'osant aller,
De ce fol et nouvel
Icare
On n'entendroit
jamais parler;
Et dans une nuit
éternelle
Croupirait mangé
des poissons,
A moins que la
troupe immortelle
Des neuf maîtresses
des beaux sons,
Sur leur mont à
croupe jumelle
Remontrant à
leurs nourrissons,
Pour réprimer
leur hypozèle,
N'allât leur
dire en leurs leçons
Gardez vous
d'imiter Chapelle,
Qui, pour vouloir
à tire d'aile
Suivre Moriez dans
ses chansons,
Répandit
son peu de cervelle
Sur les bancs et
sur les glaçons
D'une mer où
toujours il gèle,
Et périt
d'une mort cruelIe
Où périrent
les Barentsons.
De plus, au temps
d'un fier comète,
N'appartient à
tête bien faite
Voler si haut,
lorsque l'on peut
Jouer en bas à
cligne-musette.
Maint prince déjà
s'inquiète
De sa queue en
forme d'aigrette,
Qu'à tort
et qu'à travers il meut,
La prenant pour
une vergette
Qui vient faire
ici place nette.
Moi, qui sais qu'au
plus il ne pleut
De son influence
secrète
Que bourse vuide
et que disette,
Je gagerois bien
qu'il n'en veut
Qu'à quelque
malheureux poète.
C'est donc pourquoi
je me retire :
Car sur rimeurs
sans doute il tire
Et contre moi se
fâcheroit,
Au même instant
qu'il me verroit
Suivre en si haut
genre d'écrire
Celui qui seul
le peut de droit,
Tant pleinement
Phébus l'inspire.
Puis nous manque
notre bras droit,
L'abbé (8)
que chacun tant admire ;
Qui, comme à
tous plaire il voudroit,
Point n'est loisible
au docte sire
D'être long temps
en même endroit.
Lui, qui sait Marot
sur son doigt
Et l'art d'épitre
en vers construire,
Dans celle ci
vous eût su dire
Tout ce que dire
il vous faudroit.
NOTES
(1) Voir, sur
ces trois lettres au duc de Nevers, les oeuvres de l'abbé de
Chaulieu, édition de Saint Marc, et surtout l'édition
donnée en 1774 par la famille de Chaulieu.
(2)
Mot forgé dugrec et
du françois, pour dire : qui n'a plus que de très
petites croûtes. (S. Marc.)
(3)
Nom que le duc de Nevers donnoit au duc de Vendôme.
(4)
Nom sous lequel le duc de Nevers avoit écrit les deux épitres
auxquelles Chapelle répond.
(5)
Alexandre.
(6)
Pindare.
(7)
Iphyte rétablit les jeux olympiques qu'Hercule avoit fondés.
(S.-Marc)
(8)
L'abbé de Chaulieu
LETTRE
II
Au
Duc de Nevers
Sur
le même sujet, en réponse à une lettre en vers
dont toutes les rimes étoient en ime et en ors.
Encor que dans
ta lettre ultime
Tu consommes si
bien tout l'ime
Et si bien épuises
les ors,
Cependant, Duc
poétissime,
Loin de nous étonner,
c'est lors
Que la troupe scarronissime
Des quatre nouveaux
Amidors
T'en écrit
lettre pleinissime,
Sans fouiller du
sieur Des Accords
Le volume bigarrissime
(1).
Par là tu
vois que mieux records
Du style macaronissime
Que du patois sauvagissime
Des Fouilloux et
de leurs consorts;
Nous montons moins
nos Brilladors
Que le cheval volucrissime
Qui de son pied
fit jaillir hors
Cette source fécondissime,
Où tant
burent les Fracastors.
Et, quant à
ce que tu nous mors
Sur notre retraite
chronime
Songe que Fabius
Maxime,
Le roi de tous
les cunctators,
Par sa conduite
lentissime,
Nous donne exemple
sagissime
D'empêcher
le sérénissime
D'aller sitôt
mettre dehors
Son visage écarlatissime.
De plus, à
nos vieux corridors
Nous joignons salon
amplissime
Où, selon
l'art vitruvissime
Brilleront lapis
et marmors,
Tels qu'en ce temple
sanctissime
Où l'on
offroit avec l'azyme
Toutes bêtes
hormis les porcs,
Avant qu'à
sac funditissime
L'eût mis
la main profanissime
Et plus que sacrilégissime
Des fiers Nabuchodonosors.
Mais pourquoi,
Duc pindarissime,
Dans notre état
tranquillissime
Veux tu faire
des Galaors
De ton couple népotissime
(2) ;
Dans le temps opportunissime
Tu le verras audacissime
S'affourcher sur
des pilladors ;
Et dans cette ardeur
qui l'anime,
Pousser la gent
à tapabords
Jusqu'au fleuve
rapidissime,
Où régnoient
les Bétlen Gabors (3).
Par quoi, baron
loquacissime (4),
Si le premier tu
ne démors
De ta rage opiniâtrissime
A tant rimailler
en issime,
Nous t'envoyerons
vingt recors
Et du sergent rapacissime
Tous les ordinaires
supports
Sceller ta bouche
copronyme
Et te conduire
par Gisors
Aux lieux où
le bartholissime
Modèle de
tous les Médors
Se feroit fait
Catonissime
Pour terminer son
ostracime,
S'il eût
eu les fermes conforts
De ton grand due
Sénéquissime (5).
NOTES
(1)Les
Bigarrures du seigneur Des Accords.
(2) De ton couple
de neveux, le duc et le chevalier de Bouillon.
(3) Bétlen
Gabor, vaïvode de Transylvanie.
(4) Moriez,
baron de L'Arsée.
(5) Le
duc de Nevers lui même.
LETTRE III
Au Duc de Nevers
En suite de la précédente.
Sur cette mer d'ime au superlatif
Voguer encor s'imputeroit à rage ;
Puis de ta nef pour, en si long voyage,
Suivre le cours par trop tempestatif,
Besoin seroit d'avoir en patronage
La Grand Serpente avec les gens d'Alquif,
Qui porta jeune et dès son premier âge
Le Damoisel de la nier putatif ;
Mais c'est ici, comme ailleurs, grand dommage
Qu'un si beau conte on répute apocrif.
Notre pilote aussi, devenu sage
Pour à deux doigts s'être vu du naufrage
Par à te suivre être trop attentif,
Et bien recors qu'en ce dernier orage
Prêt à virer il vit son frêle esquif,
Dit que, depuis que le rude abordage
De ton navire à double et triple étage
L'a tant battu dans ce dernier estrif,
Qu'il est sans voile, antenne, ni cordage,
Et dénué de tout conservatif,
Son métier veut, sans risquer davantage,
Que terre à terre et le long du rivage
Il fasse aller un bateau si chétif.
Et bien lui sied de tenir ce langage
Car à Toulon ou sous le canon d'If,
Tous ports amis et d'un très bon ancrage,
Il fera mieux de prendre un nouveau suif,
Qu'un trop ardent et brusque itératif
En pleine mer à te suivre l'engage.
Sitôt pourtant que pour son équipage
Il aura fait quelque préparatif,
Ce lui seroit, Duc, un sensible outrage
Si tu croyois qu'en repos et qu'oisif,
Il attendît d'être mené captif
Par tes vaisseaux en superbe esclavage.
Non, non, bien loin d'être au combat rétif
Pour ta victoire, et devenu craintif
D'en avoir fait si rude apprentissage,
Las de se voir dans l'état défensif,
Par quelque exploit noble et de haut parage
Qui te sera d'un nouveau choc le gage,
Jusque chez toi, plus vigoureux et vif,
Te veut porter un cartel offensif,
Comme autrefois fit ce grand personnage
Qui, d'Annibal voyant appréhensif
Le peuple et Rome être presque au pillage,
Porta la guerre aux portes de Carthage.
Tel donc bientôt, avec gros rhabillage
De ce qu'il croit le plus à son usage,
Le plus de mise et le plus portatif,
D'aucun bureau, d'aucun port ni péage
Sans redouter le plus rude tarif
Fût-ce celui du vieux censeur Ménage,
Ou bien du noble et docte Aréopage (1),
En pareil cas juge indéclinatif,
Tu le verras vers toi tourner visage.
Mais c'est assez être Océanivage (2),
Car moins il doit, en marchand lucratif
Qu'à son gain mène un honteux asservage,
Qu'en voyageur raciocinatif
Que pousse un autre et plus digne motif,
Se gouverner en si long navigage.
N'infère point de là que, moins actif,
Et moins en mots d'if et d'age inventif,
Il ait eu peur d'en être en arrérage.
Il en a fait riche accumulatif
Et s'est lesté de leur gros ralliage,
Plus qu'un vaisseau ne fait de cailloutage ;
Et que l'enfant, de chez lui fugitif
Pour Saint-Michel voir en pélerinage,
Ne s'en revient chargé de coquillage.
Et, pour montrer que cet affirmatif
Est bien réel, et non comminatif,
Ni d'un gascon le fanfaron langage,
Mais le discours d'un pilote effectif,
Viens par plaisir jusques à Ténérif .
Le vin croît bon dans son heureux solage
Deux ou trois coups en boirons à l'ombrage
Du couvert frais, sombre et récréatif
De quelque aimable et verdoyant bocage,
Où du serin de ces beaux lieux natif
Toujours résonne un musical ramage.
Là cent vaisseaux faire leur radoubage
Vont, et d'agrès nouveau réparatif
Qui dans la suite à propos les soulage
Car du long cours c'est le fameux passage.
Veux-tu, comme eux, mais plus expéditif,
Passant la ligne au point définitif
Qui jour et nuit en douze heures partage,
Doubler le cap nommé de Bon Présage (3)
Parceque là cessa d'être pensif
Et se vit prêt d'avoir le pucelage
Du tour d'Afrique, à lui seul primitif,
Gama, qui mit ses princes hors de page
Et leur conquit si vaste possessif
Dans l'Indostan et son archipélage ?
Veux-tu, laissant dans son chaud marécage
Le sale Caffre impudique et lascif,
Qui de ses pieds se sert au larronnage,
Et son voisin le pauvre Ethiopage
Qui son pays ne tient qu'en vasselage
Du Prêtre-Jean, chrétien assez métif,
Voir l'Erythrée (4), où se tient le chérif,
Après avoir pris de lui quelque otage:
Car tu sais bien qu'on y brûle tout vif
Quiconque n'a d'un rasoir ou canif
De son prépuce accourci le pelage
Ah ! quel bonheur si dans un ermitage
Nous trouvions là quelque révérend mage,
Affable, humain et Point rébarbatif,
Grand cabaliste et très spéculatif,
Surtout pratic, plus qu'onc ne fut Baïf,
De la Massore et son baragouinage ;
Qui nous apprit comment le grand roi Juif (5)
Faisoit des biens si gros amoncelage,
Qu'il doubla bien de David l'héritage ;
Et, loin d'en être indigne ou destructif,
Bâtit un temple à son douzain lignage,
Qu'il lui laissa tout couvert d'or massif!
Or te voilà dans l'heureux paysage,
Au Paradis terrestre relatif,
Où l'oiseau rare et d'unique plumage
Sur son bûcher, de soi reproductif,
Se vient brûler dans l'épurant chauffage
D'encens, de mirrhe et bois odoratif.
Veux-tu d'encens qu'on te mène au fourrage
Puis regagner Paris, le gros village?
Il s'y vend cher par qui n'est apprentif
D'en savoir faire un flatteur étalage.
Aimes-tu mieux, d'un cours consécutif,
Entrer au Golfe ou Sein (6) qui du Calif
Reçut les lois et lui rendit hommage,
Pour le présent paie au Sophi carage,
Depuis Abas (7), par ordre successif?
Veux-tu, sans voir Ormus le maladif,
Où de tous biens la terre est en veuvage,
Gagner Surate et son port ou barrage,
D'où repartant de peur que sauvagif
Ne nous y trouve et ne nous y saccage,
Dans le Bengale, en quelque heureux mouillage,
Comme en ces lieux l'air est dessiccatif,
Aller goûter le frais restauratif
Du savoureux et tant vanté breuvage,
Que du coco, sans aucun expressif,
Tire le simple et seul apéritif.
Pour donc te rendre un dernier témoignage
Que, chaque jour plus imaginatif,
De l'Univers au coin le plus sauvage
Il peut aller, par tout pénétratif,
Notre pilote assure encore-et gage
De te mener jusqu'à l'anthropophage,
En tout contraire au Banian pensif,
Qui, dans sa hutte ou sous l'épais feuillage,
Le long du Gange entretient son ménage,
Et croit son cours si purificatif
Qu'il y nettoie en tout temps son corsage,
Et qui, content d'herbes et de laitage,
De ce qui vit ne fait son nutritif,
Et simplement s'adonne au labourage,
De Pythagore en tout imitatif,
Au lieu que l'autre, âpre au sang et carnage,
Sur chair humaine exerce brigandage,
Et, trop glouton et trop vindicatif,
Ose s'en faire un horrible apanage.
D'où comme il faut bientôt plier bagage,
Et de s'enfuir n'être pas trop tardif,
Si tu m'as vu, toujours plein de courage,
T'amener jusqu'en cette étrange plage ;
Tu me vas voir, sur le mémoratif
De ton retour, sans en être craintif,
Savoir virer le cap du Gange au Tage.
Car, aussi bien un prudent rétrécif
Veut qu'on finisse un si long badinage,
Qui deviendroit, sans un tel correctif,
De mots rimés un fade verbiage ;
Et seroit vrai dire au contemplatif,
Qui dans le port en repos se ménage,
Qu'il s'attend bien que de cet excessif
Embarquement et sur if et sur age
Je ne saurois me sauver qu'à la nage ;
Et sur la rive, haletant et poussif,
De mon débris par trop lamentatif
En ex voto faire une triste image,
Envoi.
Nous te laissons, pour t'en venir hâtif,
Et plus encor, charriage, attelage.
Ta venue est du prince l'optatif ;
Mais, si tu crois valable retentif
De dix et six le fameux assemblage,
Pour nous répondre on t'accorde message
Et de ces mots le rimant fagotage ;
Pas n'avons cru, par total ablatif,
En devoir faire un si cruel ravage,
Qui ne t'en reste assez gros collectif
Pour en remplir encore mainte page.
NOTES
(1) L'Académie françoise.
(2) Qui erre sur l'Océan.
(3) Le cap de Bonne-Espérance.
(4) La mer Rouge.
(5) Salomon
(6) Le golfe Persique.
(7) Le grand Abas, roi de Perse.
Edition
et notes par Tenant de Latour (1854)
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