Depuis que M. Barrois a
fait imprimer la Librairie protypographique des fils du roi Jean
(1830, in-4°), on a senti l'intérêt considérable
qui se rattache à ces sortes de publications, qui sont comme
l'inventaire des connaissances et des idées à des époques
plus ou moins éloignées de nous.
Aussi, d'autres bibliophiles, d'autres scrutateurs des temps passés,
ont-ils marché dans cette voie.
Nous connaissons maintenant les manuscrits qui ont appartenu à
Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse ; les livres qui composaient
la Bibliothèque du Louvre en 1373, et qui furent inventoriés
par Gilles Mallet ; ceux, ou au moins la plupart de ceux que les
ducs de Bourgogne avaient pu rassembler au XVe siècle ; ceux
de Charles d'Orléans à son château de Blois, année
1427 ; ceux des seigneurs de Jaligny, année 1413 ; ceux
du château de la Ferté, en Poitou ; nous pouvons dire
les ouvrages qui faisaient les délices du duc de Berry à
son manoir de Mehun-sur-Yèvre, et de Charles, comte d'Anjou,
au Château de Cognac : la bibliothèque de François Ier
à Blois nous a ouvert ses portes ; Pierre Cardonnel, célèbre
médecin de Paris au commencement du XIVe siècle, nous
a fait gracieusement entrer dans sa petite librairie de trente ouvrages,
la plupart de médecine. Enfin M. Douët-d'Arcq vient
de publier pour la Société des bibliophiles l'inventaire
de la bibliothèque de Charles VI.
Nous publions aujourd'hui un autre inventaire, qui se recommande par
des qualités non à dédaigner.
Il est du XVe siècle.
Il contient deux cent soixante-sept numéros, se référant
tous à des livres en français.
Il se divise en deux parties: livres « escripts à
la main » et livres « en impression ».
Il semble être le catalogue d'une maison de librairie tenant boutique
à Tours, « devant l'hostel monseigneur de Dunois ».
Le libraire, qui commençait à être forcé
par la mode à tenir des livres imprimés, était
probablement le propre copiste des manuscrits qu'il mettait en vente.
Ce qui le ferait croire, c'est que tous sont des ouvrages contemporains
ou à peu près et, dans le cas où ils sont plus
anciens, ceux-là continuaient à être à la
mode à ce moment. Par là il représente bien son
époque, et probablement aussi ses copies étaient-elles
faites non sur parchemin, mais sur papier, comme la presque totalité
des manuscrits de la seconde moitié du XVe siècle. D'ailleurs,
ce catalogue est riche, surtout en romans, en livres de chevalerie et
en mystères qui ont fait la joie de nos aïeux.
Seulement, cet inventaire a le grand inconvénient d'être
très-succinct, d'indiquer les ouvrages avec une désolante
brièveté, et de négliger plusieurs détails,- la
forme de l'écriture, la reliure, lappréciation de
la valeur etc.,- qu'on rencontre quelquefois dans les catalogues de
ce genre.
Il était donc nécessaire d'ajouter à chaque rubrique
des notes explicatives. Cest ce que nous avons fait en nous aidant
des renseignements déjà acquis, en faisant appel à
l'immense érudition de M. Paulin Paris, et en priant M. Anatole
de Montaiglon de voir et de corriger les épreuves; il a fallu
l'il vigilant et exercé du savant professeur de lÉcole
des Chartes pour que des erreurs d'appréciation ne se glissassent
pas dans nos notes.
L'inventaire que nous publions fait partie de l'inépuisable collection
des manuscrits de la Bibliothèque de la rue Richelieu, et y occupe
le volume 2,9 : 2 du fonds français (autrefois fonds Béthune,
n° 8, 452). M. Le Roux de Lincy le connaît bien et l'a, en
partie, mais sèchement publié à la page LXX
de son introduction à l'édition qu'il a donnée
(1841, 2 vol. in-l2) des Cent Nouvelles nouvelles.
Le nom de ce libraire, qui tenait boutique à Tours, "devant l'hostel
monseigneur de Dunois", reste ignoré. Mais il n'est pas téméraire
de supposer que ce comte de Dunois était: François, Ier
du nom, comte de Dunois, de Longueville, deTancarville, gouverneur du
Dauphiné, grand chambellan de France, fils du bâtard d'Orléans,
et qui, mort le 25 novembre 1491, laissa de sa femme, Agnès de
Savoie, trois fils qui continuèrent l'illustration de leur père.
Nous pouvons même, grâce à un renseignement de M.
Grandmaison, larchiviste d'Indre-et-Loire, être tout à
fait affirmatif sur l'emplacement de lhôtel DUNOIS. Il était
situé aux lieux mêmes où les Jésuites établirent
au XVIIe siècle leur Collége et bâtirent
une église qui subsiste encore. On ne sait comment il était
venu entre les mains des Dunois, mais le Bâtard d'Orléans,
le fils du duc Louis qui avait les comtés de Dunois et de Longueville,
le possédait à l'époque de sa mort en 1468. En
1517, Mme Louise de Savoie, mère du Roi, qui l'avait acquis des
héritiers de François, en fait cadeau à Jacques
de Beaune Semblançay, alors son bon ami; l'hôtel prend
le nom d'hôtel de Beaune, et, après avoir passé
dans les mains de deux ou trois propriétaires, arrive en 1634
dans celles des Jésuites. On voit que notre libraire demeurait
dans le beau quartier de la ville.
Paris, juin
1868.
|