Conscience
Suivez-moi maintenant dans la conscience. - Qu'est-ce que cela? dites-vous. - La conscience, c'est un atelier : tenez, le mot est affiché en grosses lettres sur la porte. - Ah! Et d'où vient ce nom bizarre? - Le voici. Le compositeur qui puise les lettres dans la casse pour former les lignes et les paquets, est payé à la tâche, c'est-à-dire suivant la quantité de travail qu'il fait. Or ce travail, on peut l'évaluer facilement : il n'y a qu'à compter les lignes composées. Plus le compositeur est habile, vif à l'ouvrage, plus il fait de lignes, plus il gagne; et c'est justice. Mais pour la correction, la mise en pages et autres opérations délicates, on ne peut pas calculer ainsi; tantôt le travail est plus long et plus difficile, tantôt plus facile et plus rapide : il n'y a pas de mesure possible. Les typographes qui font ces sortes de travaux sont payés, non plus à la tâche, mais au temps, à l'heure; et alors il est entendu qu'il travailleront en conscience, sans perdre leur temps, ainsi qu'il est juste. Aussi dit-on dans les imprimeries : « Certains typographes travaillent à la conscience. » Et les ouvriers entre eux : « Où donc est M. un tel ? - Il est à la conscience. » En sorte que, par cette façon abrégée de parler, le nom de conscience est resté à l'atelier.
Mais ne nous attardons plus. Une suffisante quantité de composition, c'est-à-dire de lignes composées et réunies sous forme de paquets, corrigées, a été préparée : l'opération de la mise en pages va commencer.
L'ouvrier prend, dans le premier paquet, autant de lignes que la page doit en avoir; il y ajoute le numéro de la page ce qu'on nomme le folio ; puis le titre courant, c'est-à-dire ce titre en capitales que vous voyez au haut des pages de presque tous les livres, comme au haut de ces pages mêmes que vous lisez (HISTOIRE D'UN LIVRE. - COMPOSITION.) Ce folio et ce titre courant étaient composés d'avance, et sous sa main ; il les ajuste; cela fait, il lie sa page avec une ficelle passée autour. Puis il forme de même une seconde, une, troisième page, en prenant à la suite dans les paquets.
Au commencement de chacun des chapitres d'un livre, on met, comme vous le savez, un titre de chapitre, ordinairement. composé en capitales. Voyez le commencement de l'un des chapitres de ce livre, celui qui est intitulé : IMPRESSION, par exemple. Vous observerez d'abord que ce titre ne forme pas une ligne complète. Puis, au-dessus de cette ligne de capitales, vers le haut de la page, et au-dessous, entre, les titres et le texte courant, c'est-à-dire les lignes en petit caractère, vous observez d'assez larges espaces blancs. Enfin, jetez un coup d'œil sur la première page du texte de ce livre : vous voyez un titre composé de même, mais en caractères plus gros, et ayant beaucoup plus de blanc autour de lui, en sorte que le texte ne commence guère qu'à la moitié de la page. Ce titre, qui est en tête de la première page du livre, se nomme titre de départ. Pour obtenir ces blancs au-dessus et au-dessous des titres, le metteur en pages dispose à ces endroits des pièces de métal, des blocs, qui ont la largeur de plusieurs lignes, et qui sont dépourvus de relief, comme les espaces. Le metteur en pages en a, sous la main, de différentes longueurs et de différentes largeurs : il les choisit suivant le besoin, et les ajuste de manière à remplir le vide au-dessus et au-dessous des lignes du titre, afin de les maintenir à la distance convenable. Ces pièces, ces blocs, ayant moins de hauteur que les lettres, ne toucheront pas le papier, quand on fera l'impression; ils ne feront aucune trace, et le papier restera blanc à ces endroits. Leur utilité est seulement d'appuyer, les lignes de caractères, de les maintenir en place, de permettre de serrer fortement, le, tout. - A la fin d'un chapitre on laisse souvent aussi en blanc le reste de la page.
L'ouvrier, après avoir mis en place ce qu'il lui reste de lignes, achève de remplir la page avec des blocs.- Les pages disposées ont été solidement attachées, puis mises en réserve. Il y a de ces pages autant que le livre doit en avoir : cent, ou deux cents, parfois mille, ou davantage ! On a composé la table des matières. Tout est-il achevé ? ne reste-t-il plus rien? Ah! si encore. Finissons... par le commencement.
Lorsque vous ouvrez un livre, la première chose qui frappe vos yeux c'est cette page placée en tête, où sont imprimés en grands caractères, d'abord le titre de l'ouvrage, qui est comme le nom propre du livre, le nom par lequel on le désignera; puis certaines explications s'il est nécessaire, pour faire comprendre le titre; le nom de l'auteur, celui de l'éditeur, celui de la ville où l'ouvrage a paru. Cette page est ce qu'on appelle le grand titre. Les lignes y sont composées presque toujours en capitales, ou en caractères de fantaisie diversement ornés. Le bon goût du metteur en pages se montre dans la manière dont cette page est disposée. Il faut, d'abord, que l'aspect de la page entière soit agréable, en même temps clair pour les yeux, qui doivent saisir l'ensemble du premier coup; il faut que les mots les plus importants soient composés en lettres plus grandes, afin qu'ils frappent mieux la vue. Ces lignes de caractères différents, les unes longues, les autres courtes, entourées de blancs plus ou moins larges, sont difficiles à arranger; il faut, pour les maintenir, remplir les espaces blancs de la page de pièces de différentes largeurs et de différentes longueurs, combinées avec beaucoup d'habileté pour combler bien exactement tous les intervalles. Faire cette opération délicate qui consiste à combiner les longueurs et les largeurs des caractères divers et des pièces, de façon à les ajuster comme les pièces d'un jeu de patience, pour former un tout régulier et solide, c'est ce qu'on appelle parangonner. Un habile typographe cependant se débrouille à merveille, et assez vite, dans ce travail de combinaison et d'adresse. - Le titre du livre est ce que l'on compose d'ordinaire en dernier lieu.
Imposition
(Pour plus de détails, voyez le texte de Rouveyre )
Pour comprendre ce qu'il me reste à vous expliquer, il faut tout d'abord savoir ce qu'on entend par le format d'un livre. Prenez une feuille de papier écolier ordinaire ; étalez-la devant vous. Imaginez qu'elle représente une feuille qui doit être imprimée des deux côtés pour entrer dans un livre. Un livre est, comme un cahier, formé de feuilles de papier cousues ensembles : la manière de plier la feuille pour former cette sorte de cahier, c'est là ce qu'on nomme le format.
Supposons que vous veuilliez faire, avec des feuilles de papier semblables à celles-ci, un cahier, le plus grand possible : vous plierez seulement chaque feuille en deux, pour pouvoir la coudre en passant un fil dans le pli, n'est-ce pas? Et quand vous ouvrirez le cahier pour y lire ou y écrire, sa surface étalée vous présentera l'étendue entière de la feuille. Quand, pour former un livre, on assemble ainsi des feuilles entières, pliées seulement au milieu, ce livre se dit - en latin - in-folio, c'est-à-dire en feuille (entière). Or sachez qu'une feuille d'impression est beaucoup plus grande qu'une de vos feuilles de papier à écolier, quatre fois aussi grande au moins. Un in-folio est donc un très grand livre, peu maniable, incommode à lire : on en fait très peu. Cependant observons notre feuille de papier pliée en deux. Elle forme, comme vous voyez, deux feuillets ; et comme chaque feuillet s'écrit des deux côtés, cela fait quatre pages. La page de dessus du premier feuillet, celle sur laquelle vous écririez tout d'abord, l'endroit de la feuille pliée, est ce qu'on appelle le recto (l'en-droit), le revers de cette page est le verso (l'envers). Ouvrez votre feuille : vous aurez, à droite du pli, un recto, à gauche un verso. De même dans un livre. A l'endroit où vous tenez ouvert ce livre, vous voyez à droite la page 159 qui est un recto, à gauche la page 158 qui est un verso. Or on commence à numéroter les pages d'un livre à partir du recto du premier feuillet du texte; toutes les pages impaires sont donc des rectos, toutes les pages paires des versos.
Maintenant, veuillez numéroter, suivant l'ordre dans lequel on les écrirait, vos quatre pages : 1, 2, 3, 4. Étalez votre feuille. Elle a deux côtés; l'un d'eux réunit, en regard l'une de l'autre, la page 1 et la page 4; l'autre côté réunit les pages marquées 2 et 3. Observez bien ceci, c'est important : les numéros des pages voisines, d'un même côté, ne se suivent pas toujours : repliez la page, ils se retrouvent dans l'ordre. - Le côté de la feuille qui porte le n° 1 se nomme le côté de première (sous-entendu page); celui où est inscrit le numéro 2 est le côté de seconde. Supposons maintenant que vous veuilliez former, avec votre feuille et d'autres semblables, un cahier plus petit: vous plierez chaque feuille deux fois, de telle sorte que les deux plis se croisent. Au lieu de deux feuillets vous en avez quatre maintenant, ce qui fait, rectos et versos huit pages : seulement ces huit pages sont juste moitié plus petites, bien entendu. Quand un livre est formé de feuilles d'impression ainsi pliées en quatre feuillets, il est appelé in-quarto : cela s'écrit en abrégé in-4°. Une observation, tandis que nous y sommes. Dans une feuille ainsi pliée, il y a deux feuillets qui se tiennent par les bords, qu'il faut séparer avec un couteau, si on veut les ouvrir pour y écrire ou, pour y lire. Ainsi est-il de tous les livres neufs brochés, lorsqu'ils sont formés non de feuilles entières, mais -de feuillets pliés, et de là vient qu'il faut ouvrir ces livres pour les lire la première --fois. - Ne fonde? pas votre feuille; seulement, écartant les bords, numérotez les pages suivant la série ordinaire, de 1 à 8. Est-ce fait? A présent, développez la feuille. Vous voyez les pages qui restent marquées par les plis. Jetez maintenant un coup d'œil sur vos numéros. Non seulement ils ne se suivent pas sur chacun des côtés de la feuille, mais de plus, il y en a qui se trouvent maintenant la tête en bas... Vous comprenez bien pourquoi; c'est qu'en défaisant le pli, une des moitiés du papier se renverse. Repliez la feuille en quatre, et voilà vos numéros retournés à leur place, en ordre et dans leur position droite.
Plions notre feuille une fois de plus encore, par le milieu. Une feuille ainsi pliée en huit nous offre le format in-octavo(en huit), qu'on écrit en abrégé in-8°. Ce livre que vous lisez est un in-octavo; chaque feuille d'impression, pliée, forme huit feuillets, et par conséquent seize pages. Ce format, qui donne, comme vous voyez par cet exemple, des livres de grandeur moyenne et commode, est un des plus usités. Pour avoir un livre plus petit, on peut plier la môme feuille en 16, ce qui met sur chacune 32 pages; c'est le format in-16. On fait aussi des in-32, qui portent 64 pages, mais c'est rare. D'autres manières de plier la feuille de papier en 19 ou en 18 feuillets, fournissent les formats in-12 (24 pages sur chaque feuille) et in-18 (36 pages), très commodes et très souvent employés. De quelque manière qu'elle doive être, pliée, la feuille est toujours imprimée étendue, et en deux fois : un côté d'abord, puis l'autre. Le nombre des pages de la feuille se divise donc en deux parties égales, une moitié pour chaque côté. S'il s'agit, par exemple, d'un in-octavo, il y a huit feuillets, donc 16 pages : il y aura huit pages pour le côté de première et huit pages pour le côté de seconde. Or, disons-nous, la feuille s'imprime tout entière d'un côté - puis on la retourne pour imprimer l'autre surface. Toutes les pages qui appartiennent à un même côté doivent donc être groupées ensemble, de telle sorte qu'elles s'impriment d'un seul et même coup;de même celles qui appartiennent à l'autre côté. Disposer convenablement, en deux groupes, les pages de composition qui appartiennent aux deux côtés d'une même feuille, cela s'appelle imposer (c'est-à-dire poser sur, assembler sur une table). L'opération de l'imposition se fait sur une vaste table, dont le dessus est formé d'une grande plaque de fonte bien dressée. Cette surface plane est ce qu'on appelle le marbre, parce qu'autrefois en effet le dessus de cette table était formé d'une plaque de marbre poli; aujourd'hui, quoiqu'on le fasse de métal afin qu'il résiste mieux aux chocs, l'ancien nom a été conservé. Le typographe va donc disposer ses paquets de pages sur son marbre. - Mais n'avez-vous pas souvenir de ces numéros que nous avions écrits à la suite, sur les pages de notre feuille pliée en deux, en quatre, en huit, et qui, la feuilleétant dépliée, se trouvaient si bizarrement répartis sur les deux côtés? Si donc nous voulons que les pages imprimées de la feuille se suivent dans l'ordre convenable, il faut tout d'abord que les pages de composition soient divisées en deux groupes, l'un pour le côté de première, l'autre pour le côté de seconde; de plus, dans chaque groupe, les pages doivent être disposées, les unes droites, les autres renversées, et les numéros ne se suivant pas, mais combinés d'une certaine manière... là est tout le secret de l'imposition.
Pour bien nous en rendre compte, examinons tout d'abord le cas le plus rare, mais le plus simple : supposons qu'il s'agisse d'un in-folio. - Nous avons déjà observé comment se présentent les pages, lorsqu'on déplie la feuille. De nos quatre pages qui se suivent, deux donc forment le groupe du côté de première : ce seront les pages marquées 1 et 4 ; les deux autres, marquées 2 et 3, formeront le côté de seconde. Pour l'in-folio, le typographe imposera donc ses pages ainsi que vous le montre la première figure de la page suivante : toutes sont droites, comme vous le voyez.
Mais pour l'in-quarto, - la feuille pliée en quatre, vous vous en souvenez, - la disposition est déjà plus compliquée; et la moitié des pages doivent être renversées, comme l'indique, la seconde figure; de plus on les dispose en travers. De même pour les seize pages de l'in-octavo, huit pour chaque côté seront imposées ainsi : quatre droites, quatre renversées.
|
In-octavo, côté de première. Le côté de seconde contient
les folios 7, 13, 11, 6 renversés et les folios 2, 15, 14, 3, droits
Cliquez sur l'image pour voir l'illustration agrandie |
Pour les formats in-12, in-18, in-16, in-32, etc., la manière de plier la feuille conduit à faire des combinaisons d'imposition encore plus compliquées, et que tous les typographes doivent connaître : pour nous, il nous suffit d'avoir compris le principe, la raison de ces dispositions. - Vous observerez encore, en examinant les figures ci-contre, que les pages, figurées par de petits rectangles aux coins desquels sont écrits les numéros, ne se touchent pas. Entre chacune l'ouvrier, en imposant, réserve une certaine distance. Lorsqu'on imprimera, il restera donc autour de chaque page un espace blanc, qui formera ce qu'on appelle la marge. Ce n'est pas tout. Nous venons de voir, l'ouvrier disposer ses pages sur son marbre dans l'ordre et à la distance convenables; maintenant il importe qu'elles ne soient plus dérangées. Or on aura à les transporter, même plusieurs fais, d'un bout à l'autre de l'imprimerie, à les porter sous la presse...
|
Machine à imprimer double: à gauche, un ouvrier présente une feuille de papier au cylindre,
dont les griffes vont saisir la feuille. - à droite, un apprenti reçoit la feuille imprimée
sortant de dessous le cylindre. - L'imprimeur examine une des feuilles tirées, pour
vérifier si la machine fonctionne régulièrement.
Cliquez sur l'image pour voir l'illustration agrandie |
Il faut, donc que ces pages soient solidement maintenues en place. Pour les fixer, on emploie des châssis. Un châssis est une sorte de cadre en fer très fort et assez lourd : il y en a de grands et de petits. Les grands, qui ont toute l'étendue d'une feuille d'impression, pour être plus solides sont divisés en deux parties par un fort barreau appelé traverse ou barre. Les petits ont la forme d'un simple cadre sans traverse, et se nomment ramettes. Remarquez bien ceci : un châssis n'a pas de fond; ce n'est pas une boîte, une case; c'est, je le répète, un simple cadre. - C'est un in-octavo que notre, typographe a imposé sur son marbre; il a donc convenablement rangé les huit pages du côté de première. L'ouvrier apporte un grand châssis ; il le pose sur le marbre, de telle sorte que, les pages étant encadrées par le châssis, la barre de fer qui le traverse trouve sa place entre elles.
Il s'agit maintenant de fixer les pages en leur place, tout en maintenant bien égaux les intervalles qui formeront le blanc des marges ; pour cela on remplit ces intervalles de pièces de fonte de largeur convenable, qui, étant moins hautes que les caractères, ne marqueront pas sur le papier. Enfin, pour bien assujettir tout en place, et serrer fortement, les pages de caractères dans le châssis, le typographe introduit entre les pièces et les bords du châssis, d'abord de petites réglettes en métal qu'il appuie contre les bords des pages, puis d'autres règles de bois dur, celles-ci taillées obliquement, qu'il nomme les biseaux. Enfin entre ces biseaux et les bords du cadre, il place des coins, de bois dur aussi, qu'il enfonce à grands coups de marteau. - Le châssis ainsi rempli, avec tout ce qu'il contient, pages, pièces, etc., est ce qu'on appelle une forme. Chose qui vous étonnera peut-être, quand l'ouvrier a convenablement serré la forme, c'est-à-dire assez fortement comprimé l'ensemble à l'intérieur du châssis en enfonçant les coins, le tout se tient en bloc, comme si ce n'était qu'une seule pièce : en sorte qu'avec un peu de précaution on peut enlever la formé de dessus le marbre, la transporter d'un bout à l'autre de l'imprimerie, sans qu'aucune pièce se détache, sans qu'aucun de ces milliers de caractères tombe.
Tout cela est très lourd cependant ; si lourd qu'une forme un peu grande est toute la charge d'un homme vigoureux tout plomb et fer, pensez ! Et toutes ces parties ajustées tiennent par la seule pression des coins.
Nous venons de voir assembler et serrer la forme du côté de première; la forme de seconde sera disposée de la même manière. Avec ces deux foi-mes nous avons de quoi imprimer la feuille complète, des deux côtés. - Or le livre contient presque toujours, avons-nous dit, plusieurs feuilles d'impression: autant de feuilles donc, autant de fois deux formes. Ce livre que vous tenez en main et qui n'est pas bien épais, renferme déjà 224 pages ; chaque feuille contient 16 pages, puisque c'est un in-octavo ; il y a par conséquent 14 feuilles ; et pour l'imprimer il a fallu 28 formes, contenant huit pages chacune.
Voici donc, assemblées et serrées, les deux formes d'une feuille. Tout étant composé et mis en place, vous pensez qu'il n'y a plus qu'à imprimer. - Imprimer? Pas encore. - Il est rare, disions-nous, même lorsqu'il s'agit d'une seule page, qu'une seule correction soit suffisante. Avant de mettre en forme ces pages, on en a tiré des épreuves, et ces épreuves ont été corrigées, ainsi que nous l'avons expliqué, d'abord par le correcteur de l'imprimerie, puis par l'auteur. Les corrections étant indiquées, le typographe les a exécutées; puis aussitôt les pages ont été imposées. Or, avant de tirer, il faut vérifier si toutes les corrections ont été bien faites. Ces paquets de caractères ont été remués, transportés sur le marbre, maniés de cent façons; quelques lettres ont pu tomber, par accident, ou se déranger. En imposant, ou en mettant les numéros des pages, on a pu commettre quelque nouvelle erreur. Enfin l'auteur lui-même veut donner un dernier coup d'œil à son œuvre, peut-être changer quelques mots, quelques signes de ponctuation... Pour toutes ces raisons, il faut faire une seconde épreuve.
On porte donc les deux formes à la presse. Sur le plateau ou marbre de cette presse, on pose d'abord la forme de première ; on met de l'encre avec le rouleau. Une feuille de papier est étalée sur la forme encrée ; on presse : voici huit pages imprimées d'un côté. Cela fait, on enlève la forme de première, on met la forme de seconde à sa place ; on encre, on pose dessus la même feuille retournée, pour en imprimer l'envers. En un mot, on fait comme si on imprimait le livre; seulement on n'imprime qu'une seule feuille, et c'est encore une épreuve. Cette feuille pliée représente exactement un des cahiers qui formeront le livre ; les pages sont imprimées des deux côtés et se suivent dans l'ordre convenable. Cette seconde épreuve est envoyée à l'auteur, comme la première. L'auteur lit de nouveau, et avec la plus grande attention; il marque les fautes qui auraient pu échapper à lui-même ou au correcteur la première fois, celles qui auraient été mal corrigées ; enfin, s'il veut faire quelque changement encore, il l'indique.
Ces nouvelles corrections marquées, il s'agit de les exécuter, comme on a fait la première fois. La forme est rapportée sur le marbre de la table. - Mais, avons-nous dit, la forme, très fortement serrée à l'aide des coins enfoncés à coups de marteau, se tient maintenant tout d'un bloc; les pièces, les caractères, pressés l'un contre l'autre, ne peuvent plus bouger; il serait impossible d'arracher une lettre : on la casserait plutôt. Le typographe commence donc par desserrer sa forme, en chassant un peu les coins; il lâche un peu, il donne du libre. Et alors il pourra sans effort enlever avec sa pince les lettres à changer, et les remplacer par d'autres. Les corrections étant exécutées sur chacune des pages de la forme, on serre de nouveau les coins à coups de marteau, et tout redevient immobile. Les deux formes étant ainsi corrigées, le travail est achevé pour cette feuille : on les met de côté, en attendant le tirage. - Parfois cependant il est nécessaire de faire encore une nouvelle épreuve et une nouvelle correction.
Que de soins, n'est-ce pas ? que de travail, quel souci attentif, que de retouches minutieuses ! Vous doutiez-vous qu'une page de livre eût tant coûté ? qu'il eût fallu s'y reprendre à tant de fois? Résumons : composition, mise en paquets, épreuve des paquets, première correction, mise en pages, imposition, seconde épreuve, seconde correction, quelquefois une troisième, une quatrième... Et tout n'est pas fini encore !
© Textes rares
|