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P. Lacroix, E. Fournier et F. Seré, Histoire de l'imprimerie

Gutenberg

Les connaissances sur les origines de l'imprimerie ayant beaucoup évoluées depuis la parution de ce texte, il doit être être lu avec prudence.
Pour plus de précisions,
on consultera le remarquable ouvrage de Guy Bechtel, Gutenberg et l'invention de l'imprimerie. Une enquête, Fayard, 1992. On y trouve entre autres d'importantes précisions sur les miroirs fabriqués par Gutenberg.


Hans ou Jean Gentfleisch de Sulegeloch, dit Gutenberg, sans doute parce qu'il était originaire, sinon natif, de la petite ville de Kuttenberg, en Bohême, comme on l'a soutenu dans ces derniers temps, quitta, en 1420, la ville de Mayence, où l'opinion commune le fait naître de 1398 à 1400. Des troubles, survenus à l'occasion de l'entrée solennelle de l'empereur dans la ville et d'un conflit de prétentions qui se souleva entre les deux bourgmestres à propos de cette cérémonie, et auxquels il prit part, le forçaient de s'exiler. C'est à Strasbourg qu'il vint s'établir.

1434-1436
Jusqu'en 1434, il y reste complétement obscur, nous ignorons même avec quelles ressources et par quelle industrie il y peut vivre ; sans doute, quoiqu'il soit noble, en s'occupant de travaux manuels, de la copie ou de l'enluminure des manuscrits, son premier métier, suivant la plus commune tradition ; de la gravure sur bois, ou bien déjà de la taille des pierres précieuses, industrie à laquelle nous le verrons se livrer plus tard. De 1434 à 1436, il se révèle tout à coup à nous, grâce à quelques documents qui nous le font voir sous deux aspects assez opposés, assez contradictoires, et pour cela même témoignant d'une façon d'autant moins récusable pour cet homme singulier, dont la vie fut toute d'aventures et de contrastes. En 1434, nous le voyons actionner en justice un débiteur réfractaire, un greffier (Stadschreiber) de la ville de Mayence, de qui il réclame le payement de revenus arriérés. Dans le même temps, il se trouve lui-même sous le coup d'une plainte non moins impérieuse : une noble demoiselle Ennelin zu der Isering Thüre (à la porte de fer) le cite devant le tribunal épiscopal, exigeant de lui l'exécution d'une promesse de mariage. Nous ne savons si le greffier mayençais trouva la somme qui devait satisfaire Gutenberg ; mais, quant à sa propre dette de fiancé, où Gutenberg n'avait qu'à payer de sa personne, nous sommes fondés à croire qu'il lui fit honneur. Nous voyons, en effet, figurer, à partir de cette époque, sur les registres municipaux de Strasbourg une Ennel. Gutenberg qui paye des impôts. En 1436, et c'est ici que gît le contraste, ce même homme qu'il faut sommer par justice pour qu'il acquitte ses promesses de fiancé, figure comme constable sur le Helbeling Zollbuch ( livre d'imposition ) de Strasbourg. Ainsi, Gutenberg, quoique bon gentilhomme, déroge assez à sa noblesse pour gagner sa vie par le travail de ses mains ; quoique nécessiteux et d'une existence, assez désordonnée, les plaintes d'Ennelin nous l'ont prouvé, il figure parmi les magistrats de la cité qu'il a adoptée pour patrie ; tout cela semble un peu inconciliable ; mais ce que nous savons, ce qui nous reste à dire de cet homme étrange, donne pourtant à tout une complète vraisemblance.

1439
En 1439, les procès ont déjà recommencé pour lui ; cette fois, il ne s'agit pas de rentrées de fonds, de promesses galantes à acquitter, ce sont de bien plus graves affaires : Gutenberg vient faire valoir les droits, défendre les mystérieux intérêts qu'il possède dans une société dont il est lui-même le fondateur et qui exploite certains procédés dont le secret lui appartient. Le procès, en réalité, ne roule que sur une somme contestée de quelque quinze florins, et il se plaide devant un médiocre tribunal, contre de très-obscures parties ; « mais, dit avec raison M. de la Borde, la discussion s'agrandit singulièrement, si nous rappelons que déjà, depuis trois ans, Gutenberg porte dans sa tête l'idée du grand procédé qui s'est appelé l'Imprimerie, et qu'il discute ici les espérances qu'il avait déjà fait naître. »

Un faiseur de miroirs
Voici, en effet, le débat qui s'agite : de 1436 à 1437, Gutenberg, cherchant à exploiter une des inventions si vite écloses dans son cerveau actif, fait avec un certain Jean Riffe une association à laquelle viennent bientôt prendre part Anton. Heilmann et son frère André Dryzehn, qui avait déjà été lié d'intérêt avec Gutenberg pour la taille des diamants. Les stipulations de l'acte social, rédigées par écrit, avaient établi que les intérêts de la société seraient divisés en quatre parts, sur lesquelles Gutenberg, l'âme de l'entreprise, s'en réservait deux, en outre d'une somme de 160 florins qu'il avait droit de prélever sur ses deux derniers associés. Maintenant quel était donc le secret que ces quatre hommes se préparaient à exploiter avec tant d'ardeur, et pour lequel, dans l'espérance sans doute d'énormes bénéfices, il était fait de si grandes concessions à Gutenberg qui avait apporté l'idée ? D'après les déclarations d'André, qui se disait miroitier, Spiegelmacher (faiseur de miroirs), lorsqu'on l'interrogeait sur son entreprise avec Gutenberg ; d'après une déposition d'Antoine Ileilmann, qui parle au procès de miroirs que les associés se proposaient de vendre lors du pèlerinage d'Aix-la-Chapelle, on a pensé qu'il s'agissait tout simplement de je ne sais quel perfectionnement à apporter dans la fabrication des miroirs, pour les établir à moins de frais, les vendre aussi cher et réaliser par là de gros bénéfices. Tous les savants ont admis cette opinion, mais quelques-uns pourtant l'ont discutée, M. de la Borde entre autres, avec ce doute sagace et cette habitude d'appréciation lumineuse qui donnent tant de prix à ses travaux d'érudit. Il s'est demandé si, dans l'histoire de l'art du miroitier, on trouvait quelques traces de ces tentatives de Gutenberg, qui, d'après les témoins, n'auraient pas été infructueuses, et même, de l'aveu de Dryzehn, auraient produit d'assez beaux bénéfices, et ses recherches à ce sujet ne lui ont rien fait découvrir : "La fabrication des miroirs, dit M. de la Borde, aurait éprouvé à cette époque une grande amélioration, si Gutenberg avait trouvé un moyen tellement économique, qu'il eût donné à ses ouvriers les espérances qui sont avouées dans les dispositions et qui entraînent ses associés aux sacrifices d'argent qu'ils font sans murmurer. Rien de pareil ne s'est manifesté au moyen âge, et l'on sait, au contraire, qu'à cette époque et plus d'un siècle après les miroirs sont restés de petite forme et très-rares. » M. de la Borde se pose aussi, d'après un détail du procès et au sujet d'un des instruments qui auraient servi à cette prétendue fabrication de miroirs, une objection judicieuse dont aucun des autres savants n'avait eu la pensée.

« A quoi bon une presse? dit-il. Les uns ont voulu trouver dans cet instrument un moyen d'imprimer sur les bords de la glace, on, selon d'autres, sur le cadre, des ornements en creux, au moyen de blocs de bois en relief. Rien ne prouve qu'on ait fabriqué quelque chose de semblable au moyen âge. » Apporter ainsi le,doute dans des erreurs depuis longtemps admises, détruire ainsi pièce à pièce l'idée fausse, c'est être bien près de toucher l'idée vraie. Après M. de la Borde, on n'avait plus qu'un pas à faire pour entrer en plein dans la vérité ; on n'avait plus qu'à se demander, pensant toujours à ce Gutenberg qui doit bientôt trouver la Typographie, si ce mot miroir, spiegel en allemand, speculum en latin, qui, pris dans son sens propre, n'a pas ici de signification, n'en aurait pas, au contraire, une évidente, victorieuse, en le prenant dans un sens figuré. Quel titre portent la plupart des petits livres de piété que nous avons vu s'imprimer tout à l'heure à l'aide des planches xylographiques, et se propager ainsi dans toute l'Europe, et surtout dans la pieuse Allemagne? Ces petits livres s'appellent, l'un Speculum humanae salvationis, l'autre Speculum salutis, c'est-à-dire Miroir du salut de l'homme, Miroir du salut. Eh bien ! selon nous (voy. la curieuse dissertation sur le Procès de Gutenberg, par le bibliophile Jacob, qui a le premier trouvé la clef de cette énigme), les miroirs que Gutenberg fabrique clandestinement avec ses trois associés ne sont certainement pas autre chose que ces petits livrets xylographiques. Ainsi se trouve expliqué le zèle ardent du grand inventeur pour ce travail qui va l'amener graduellement à s'on admirable découverte ; ainsi s'explique à merveille l'usage de la presse, si inexplicable dans la donnée première ; ainsi l'on comprend encore que les associés aillent vendre les produits de leur fabrication à ce pèlerinage d'Aix-la-Chapelle, où ces petits miroirs mystiques devaient être d'un débit si facile et si naturel, tandis que les autres miroirs mondains y auraient été une marchandise assez étrangement profane. Le secret dont les associés entourent leur travail, les réponses évasives de Dryzehn, qui, pour ne pas trahir ses occupations clandes. tines et ne pas trop mentir pourtant, équivoque sur le double sens de Spiegel, et se dit faiseur de miroirs, ne sont pas moins explicables. S'ils travaillent ainsi dans l'ombre, loin de tous les yeux, c'est qu'ils ne se contentent pas de refaire ce qu'on a tant fait en Allemagne et en Hollande depuis un demi-siècle, ces livrets grossiers, ces Donats, qui maintiennent l'impression xylographique si loin de la perfection des manuscrits. Gutenberg veut que de sa presse sortent des livres qui rappellent cette perfection de la lettre copiée, dont les Donats ne peuvent approcher ; des livres qui, par la forme du caractère, la régularité des lignes, la noirceur de l'encre, la correction du texte, soient un fac-simile. si parfait des plus beaux manuscrits, que l'acheteur puisse les prendre pour tels et les payer d'une somme aussi élevée. Il tente une contrefaçon, c'est évident, et M. de la Borde lui-même ne l'a pas nié. C'est même cela seulement qui a pu allécher les trois associés, gens assez peu scrupuleux, et les jeter dans l'entreprise. S'il s'était agi de simples Donats, ils n'auraient pas risqué d'aussi grosses sommes, fait à Gutenberg d'aussi grands avantages, ni, répétons-le, entouré l'entreprise d'un si impénétrable mystère. Mais lorsque Gutenberg avait fondé l'association, il n'était pas encore maître de son invention tout entière. Ce qu'il avait trouvé, selon Ulrich Zell, en examinant bien le mode d'exécution d'un Donat hollandais, ne consistait guère que dans le procédé de la mobilité des caractères. C'était déjà beaucoup. Ainsi, pouvant façonner ses lettres une à une, il les obtenait d'une meilleure forme, mieux gravées, d'un contour plus gracieux. Il pouvait aussi, sans refaire une planche tout entière, comme l'aurait exigé le procédé xylographique, retirer d'un mot toute lettre fautive. La régularité et la correction, deux conditions à remplir pour que le caractère imprimé se rapprochât, du caractère manuscrit, étaient ainsi à peu près atteintes ; mais ce n'était pas assez. La lettre si brillante et si nette sur la page écrite à la main, sortait pâle et d'un contour indécis et inégal sur la page imprimée par Gutenberg. Le caractère de bois n'avait pas assez de légèreté, d'assez vives arêtes pour reproduire la forme svelte, le trait nettement accusé de la lettre tracée par la plume dit copiste. La contrefaçon était fautive et facile à reconnaître. Gutenberg ne désespéra pas de la rendre plus parfaite. Ce qui contribuait surtout à rendre ses impressions défectueuses, c'étaient, nous venons de le dire, les caractères de bois. Il songea à leur substituer des caractères de métal, et pour cela, il s'entendit avec Dünne l'orfèvre (mécanicien et fondeur du temps), qui, pendant trois ans passés, suivant son témoignage, c'est-à-dire à partir de 1436, première année de l'association, livra à Gutenberg tout ce qui avait rapport à l'Imprimerie. Les trois associés ne surent rien d'abord de ces nouveaux essais ; Gutenberg, qui y voyait le dernier mot de son grand arcane, les leur cachait avec grand mystère. Mais, un jour de 1438, Dryzehn et Heilmann le surprirent à l'oeuvre dans sa maison de Saint-Arbogast, et l'interrogèrent sur ses travaux secrets. Il refusa de répondre, l'invention qu'il poursuivait étant de celles qu'il ne s'était pas engagé à leur confier. Ils insistèrent, offrirent tout ce qu'ils possédaient pour être encore de moitié dans ce nouveau secret, et Gutenberg céda. Il s'établit dès lors une nouvelle association dont Riffe fit encore partie et dont l'apport social, pour chacun des trois nouveaux venus, dut être de 230 florins. La somme était considérable, mais, selon la déclaration de Gutenberg à ses associés, elle devait être bien compensée par les droits qu'ils acquéraient sur un matériel considérable, sur des ustensiles déjà fabriqués ou en voie d'exécution. Dryzehn s'épuisa pour payer sa part, sacrifia son patrimoine, vendit ses meubles, mit en gage les diamants de sa femme, et finit par mourir à la peine, n'ayant pas un florin.

Les frères du mort, Georges et Claus, réclamèrent alors de Gutenberg une somme de 100 florins qu'ils disaient réservée par l'acte social à la succession de celui des trois associés qui viendrait à mourir, mais dont toutefois ils le déclaraient quitte volontiers, s'il consentait à les admettre tous deux dans la société, au lieu et place de Dryzehn. Gutenberg refusa d'accéder à l'une et à l'autre de, ces deux réclamations. De là le procès entamé contre lui en 1439, pour lequel se produisirent les curieux témoignages qui nous ont guidés dans toute cette histoire, et dont le résultat fut un arrêt du tribunal, déclarant que la somme due par Gutenberg aux héritiers ne dépassait pas quinze florins. Dès lors la société fût rompue de fait.

Poursuite des recherches et association avec Faust
Gutenberg n'avait encore trouvé ni le procédé ni le métal propre à la fonte de ses caractères : il resta quelques années encore à Strasbourg, poursuivant sans relâche, et toujours entouré du même mystère, la solution de ce problème, ce dernier mot de son invention. En 1442, il ne l'avait pas trouvé ; et, sans cesse mis à bout de ressources par ses infructueuses épreuves, il se voyait forcé de vendre au chapitre de Saint-Thomas une rente que son oncle Loheymer, mort à Mayence, lui avait laissée en héritage. L'année suivante, dégoûté de Strasbourg, il commençait à méditer un retour vers cette même ville de Mayence. Il y louait la maison de Zumjungen ; et enfin, en 1445 ou 1446, il quittait définitivement Strasbourg et revenait, après son long exil, s'établir dans ce logis même, au sein de sa ville natale. Pendant quatre ans, il y reste aussi ignoré, plus obscur même qu'à Strasbourg. Mais en 1450, il trouve un homme ardent au lucre, avide d'inventions et de spéculations merveilleuses comme le Strasbourgeois Dryzehn, mais plus riche que lui. C'est un vieil orfèvre nommé Faust, qui tout d'abord, s'associant avec Gutenberg, met 800 florins au service de ses beaux projets. D'après l'acte d'association, qui a été conservé, cette somme de 800 florins d'or avancée par Faust devra produire 6 pour 100 d'intérêts, et les ustensiles on instruments nécessaires à l'imprimerie, que Gutenberg fera confectionner, lui resteront aussi engagés. Faust, du reste, devra fournir, en outre de la première somme, 300 florins d'or, pour les frais généraux, loyer, chauffage, gages de domestiques, achat de parchemin, d'encre, de papier, etc. Les bénéfices seront partagés à part égale par les associés ; et la société venant par hasard à se dissoudre, Gutenberg reprendra possession du matériel : mais seulement après avoir remboursé à Faust les 800 florins d'or. Quoique basés sur ce riche capital, les travaux de la nouvelle association sont d'abord languissants. Gutenberg ne semble plus possédé de l'ardeur qui l'animait à Strasbourg et qui l'avait poussé si près du but de ses longs efforts ; à en croire même un curieux passage de l'abbé Trithème, il paraîtrait qu'il renonça quelque temps, soit lassitude, soit avidité d'un gain plus sûr, à son procédé chéri, de l'impression par types mobiles, et recommença à opérer à l'aide des moyens rétrogrades de la xylographie. Meermann n'est pas éloigné de partager cette opinion de Trithème ; et nous l'adopterons nous-mêmes, mais à la condition d'ajouter bien vite que Gutenberg, ne s'en tenant pas à cette besogne si indigne de lui et qui lui était imposée sans doute par l'avidité pressante de Faust, n'en continuait pas moins ardemment ses recherches pour la fonte des caractères. Ici nous pourrions nous appuyer fortement sur un autre passage de l'abbé Trithème, où il est dit que vers 1452 ou 1453, F. Gutenberg et Faust trouvèrent « une méthode pour fondre les formes de l'alphabet latin, formes qu'ils appelaient matrices, et dans ces matrices, ils fondaient de nouveau des caractères de cuivre et d'étain ; » mais ce témoignage de l'abbé Trithème, tout positif qu'il est, doit céder devant une tradition plus communément admise, qui, sans nier la persistance des travaux et des essais de Gutenberg, attribue à Pierre Schaeffer de Gernsheim, ouvrier de Faust, l'invention définitive de la fonte des types d'imprimerie.

L'intervention de Pierre Schaeffer
Cette tradition est ainsi reproduite par Jean-Frédéric Faust d'Aschaffenbourg, qui la laissa dans les archives de sa famille, d'où Wolf la tira pour en donner une traduction latine dans ses Monumenta typoyraphiae.

« Pierre de Gernsheim, ayant compris le projet de son maître Faust, et plein de goût pour son art, trouva, par l'inspiration divine, la manière de tailler des caractères que l'on appelle matrices ; de fondre, par ce moyen, d'autres caractères, de les multiplier, de leur donner la même forme, sans être obligé de graver chacun d'eux séparément. Il fit à l'insu de son maître une matrice abécédaire et la montra à Jean Faust, avec les caractères qu'il avait fondus par ce moyen. Son maître en fut tellement ravi, que, dans le transport de sa joie, il promit sur-le-champ sa fille unique, Christine, à Pierre, qui l'épousa peu de temps après. Mais ils rencontrèrent de grandes difficultés dans ce genre de caractères comme dans les caractères qu'auparavant ils sculptaient sur bois ; car la matière était trop faible pour pouvoir résister à la pression. Enfin, par un alliage de plusieurs autres métaux, ils trouvèrent une substance qui put soutenir pendant quelque temps la force de la presse. »

Ce document, qui écarte si brutalement Gutenberg de cette invention à laquelle il avait voué sa vie, cette relation émanée de la famille de Faust et de Schaeffer, et si exclusivement favorable à tous deux, sans dire même un mot de leur illustre associé, aurait peut-être pu soulever des doutes judicieux, si la conduite de Faust envers Gutenberg ne venait malheureusement lui donner raison. La découverte inespérée de l'heureux Schaeffer mettait à néant toutes les précédentes tentatives du vieux chercheur, et même lui ôtait tout droit à l'exploitation d'un procédé que ses mille épreuves avaient préparé, qu'il avait cent fois touché du doigt, mais qu'une main plus jeune et plus prompte avait enfin su saisir, et que, par conséquent, il ne pouvait justement revendiquer comme sien. Faust lui fit bien voir qu'il n'avait rien à y prétendre, et, bien plus, qu'il était devenu inutile et gênant dans l'association, victorieuse sans lui. Il lui fit un procès en revendication des 800 florins d'or mis par lui dans la société et des intérêts que cette somme avait dû produire depuis 1450. Voici, traduit de l'allemand, l'acte original qui concerne cette affaire et qui justifie des tortures que, cette fois encore, l'ingrate et dure spéculation peut faire subir au génie :

« Faust assigne Gutenberg en justice pour recouvrer la somme de 2,020 florins d'or, provenant de 800 florins qu'il avait avancés à Gutenberg, selon la teneur du billet de leur convention, ainsi que d'autres 800 florins qu'il avait donnés à Gutenberg en sus de sa demande pour acheter l'ouvrage, et d'autres 36 florins dépensés et des intérêts qu'il lui avait fallu payer, n'ayant pas lui-même les fonds suffisants. Gutenberg répliqua que les premiers 800 florins ne lui avaient pas été payés, selon la teneur du billet, tous et à la fois ; qu'ils avaient été employés aux préparatifs du travail ; qu'il s'offrait à rendre compte des derniers 800 florins ; qu'il ne croyait pas être tenu de payer ni intérêt ni usure. Le juge ayant déféré le serment à Faust, celui-ci l'ayant prêté, Gutenberg perdit sa cause et fut condamné à payer les intérêts et la partie du capital qu'il aurait employée pour sa dépense particulière, ce dont Faust demanda et obtint acte du notaire Helmasperger le 6 novembre 1455. »

Gutenberg, chassé, ruiné, exproprié même ; car, ne pouvant payer la somme que l'arrêt rendait exigible, il dut laisser à Faust ses matériaux, ses presses, ses caractères ; Gutenberg quitta Mayence comme il avait quitté Strasbourg, et plus misérable même. Il y revint pourtant, n'ayant pas d'autre refuge ; le prince-évêque Adolphe de Nassau l'y reçut, et, l'ayant admis parmi ses gentilshommes, lui fit une pension par charité. C'est ainsi qu'il vécut obscur, délaissé, presque mendiant jusqu'en 1468, année de sa mort. On a prétendu que, sur ses derniers jours, il avait trouvé encore d'autres associés, et qu'il avait enfin réussi à établir à Mayence une imprimerie rivale de celle de Faust. Les preuves manquant, nous n'y voulons pas croire.

Gutenberg vieilli, à bout d'efforts et d'illusions, se devait à lui-même de ne pas tenter cette dernière épreuve. Nous aimons mieux nous l'imaginer morose, désespéré, et, du fond de sa misère inactive, regardant grandir cette grande invention dont il était le père et qui l'avait renié. Justice pourtant lui fut rendue plus tard. Jean Schaeffer, qui avait succédé à son père, disparu on ne sait comment pendant le pillage de Mayence, avoua humblement dans la dédicace du Tite-Live offert par lui à Maximilien « que l'invention primitive appartenait à Gutenberg. »

Mais alors l'Imprimerie remplissait déjà le monde, emportant avec elle les deux noms de Faust et de Schaeffer. Partout, à Naples, à Rome, à Milan, à Florence, les livres imprimés se vendaient à profusion. Schaeffer avait déjà, en 1475, un entrepositaire à Paris ; c'était un Allemand nommé Hermann de Stathoën. Il mourut, et les commissaires royaux, en vertu du droit d'aubaine, firent saisir et vendre tous ses livres. Schaeffer réclama ; le roi des Romains, Frédéric III, appuya sa demande, à laquelle Louis XI donna pleine raison par ordonnance du mois d'avril 1475. Mais ce roi, si avide d'idées nouvelles, ne devait pas s'en tenir vis-à-vis de l'Imprimerie à cet acte de justice.

 

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