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P.
Lacroix, E. Fournier et F. Seré, Histoire
de l'imprimerie
Gutenberg
Les
connaissances sur les origines de l'imprimerie ayant beaucoup évoluées
depuis la parution de ce texte, il doit être être lu avec
prudence.
1434-1436
1439
Un faiseur de miroirs « A quoi bon une presse? dit-il. Les uns ont voulu trouver dans cet instrument un moyen d'imprimer sur les bords de la glace, on, selon d'autres, sur le cadre, des ornements en creux, au moyen de blocs de bois en relief. Rien ne prouve qu'on ait fabriqué quelque chose de semblable au moyen âge. » Apporter ainsi le,doute dans des erreurs depuis longtemps admises, détruire ainsi pièce à pièce l'idée fausse, c'est être bien près de toucher l'idée vraie. Après M. de la Borde, on n'avait plus qu'un pas à faire pour entrer en plein dans la vérité ; on n'avait plus qu'à se demander, pensant toujours à ce Gutenberg qui doit bientôt trouver la Typographie, si ce mot miroir, spiegel en allemand, speculum en latin, qui, pris dans son sens propre, n'a pas ici de signification, n'en aurait pas, au contraire, une évidente, victorieuse, en le prenant dans un sens figuré. Quel titre portent la plupart des petits livres de piété que nous avons vu s'imprimer tout à l'heure à l'aide des planches xylographiques, et se propager ainsi dans toute l'Europe, et surtout dans la pieuse Allemagne? Ces petits livres s'appellent, l'un Speculum humanae salvationis, l'autre Speculum salutis, c'est-à-dire Miroir du salut de l'homme, Miroir du salut. Eh bien ! selon nous (voy. la curieuse dissertation sur le Procès de Gutenberg, par le bibliophile Jacob, qui a le premier trouvé la clef de cette énigme), les miroirs que Gutenberg fabrique clandestinement avec ses trois associés ne sont certainement pas autre chose que ces petits livrets xylographiques. Ainsi se trouve expliqué le zèle ardent du grand inventeur pour ce travail qui va l'amener graduellement à s'on admirable découverte ; ainsi s'explique à merveille l'usage de la presse, si inexplicable dans la donnée première ; ainsi l'on comprend encore que les associés aillent vendre les produits de leur fabrication à ce pèlerinage d'Aix-la-Chapelle, où ces petits miroirs mystiques devaient être d'un débit si facile et si naturel, tandis que les autres miroirs mondains y auraient été une marchandise assez étrangement profane. Le secret dont les associés entourent leur travail, les réponses évasives de Dryzehn, qui, pour ne pas trahir ses occupations clandes. tines et ne pas trop mentir pourtant, équivoque sur le double sens de Spiegel, et se dit faiseur de miroirs, ne sont pas moins explicables. S'ils travaillent ainsi dans l'ombre, loin de tous les yeux, c'est qu'ils ne se contentent pas de refaire ce qu'on a tant fait en Allemagne et en Hollande depuis un demi-siècle, ces livrets grossiers, ces Donats, qui maintiennent l'impression xylographique si loin de la perfection des manuscrits. Gutenberg veut que de sa presse sortent des livres qui rappellent cette perfection de la lettre copiée, dont les Donats ne peuvent approcher ; des livres qui, par la forme du caractère, la régularité des lignes, la noirceur de l'encre, la correction du texte, soient un fac-simile. si parfait des plus beaux manuscrits, que l'acheteur puisse les prendre pour tels et les payer d'une somme aussi élevée. Il tente une contrefaçon, c'est évident, et M. de la Borde lui-même ne l'a pas nié. C'est même cela seulement qui a pu allécher les trois associés, gens assez peu scrupuleux, et les jeter dans l'entreprise. S'il s'était agi de simples Donats, ils n'auraient pas risqué d'aussi grosses sommes, fait à Gutenberg d'aussi grands avantages, ni, répétons-le, entouré l'entreprise d'un si impénétrable mystère. Mais lorsque Gutenberg avait fondé l'association, il n'était pas encore maître de son invention tout entière. Ce qu'il avait trouvé, selon Ulrich Zell, en examinant bien le mode d'exécution d'un Donat hollandais, ne consistait guère que dans le procédé de la mobilité des caractères. C'était déjà beaucoup. Ainsi, pouvant façonner ses lettres une à une, il les obtenait d'une meilleure forme, mieux gravées, d'un contour plus gracieux. Il pouvait aussi, sans refaire une planche tout entière, comme l'aurait exigé le procédé xylographique, retirer d'un mot toute lettre fautive. La régularité et la correction, deux conditions à remplir pour que le caractère imprimé se rapprochât, du caractère manuscrit, étaient ainsi à peu près atteintes ; mais ce n'était pas assez. La lettre si brillante et si nette sur la page écrite à la main, sortait pâle et d'un contour indécis et inégal sur la page imprimée par Gutenberg. Le caractère de bois n'avait pas assez de légèreté, d'assez vives arêtes pour reproduire la forme svelte, le trait nettement accusé de la lettre tracée par la plume dit copiste. La contrefaçon était fautive et facile à reconnaître. Gutenberg ne désespéra pas de la rendre plus parfaite. Ce qui contribuait surtout à rendre ses impressions défectueuses, c'étaient, nous venons de le dire, les caractères de bois. Il songea à leur substituer des caractères de métal, et pour cela, il s'entendit avec Dünne l'orfèvre (mécanicien et fondeur du temps), qui, pendant trois ans passés, suivant son témoignage, c'est-à-dire à partir de 1436, première année de l'association, livra à Gutenberg tout ce qui avait rapport à l'Imprimerie. Les trois associés ne surent rien d'abord de ces nouveaux essais ; Gutenberg, qui y voyait le dernier mot de son grand arcane, les leur cachait avec grand mystère. Mais, un jour de 1438, Dryzehn et Heilmann le surprirent à l'oeuvre dans sa maison de Saint-Arbogast, et l'interrogèrent sur ses travaux secrets. Il refusa de répondre, l'invention qu'il poursuivait étant de celles qu'il ne s'était pas engagé à leur confier. Ils insistèrent, offrirent tout ce qu'ils possédaient pour être encore de moitié dans ce nouveau secret, et Gutenberg céda. Il s'établit dès lors une nouvelle association dont Riffe fit encore partie et dont l'apport social, pour chacun des trois nouveaux venus, dut être de 230 florins. La somme était considérable, mais, selon la déclaration de Gutenberg à ses associés, elle devait être bien compensée par les droits qu'ils acquéraient sur un matériel considérable, sur des ustensiles déjà fabriqués ou en voie d'exécution. Dryzehn s'épuisa pour payer sa part, sacrifia son patrimoine, vendit ses meubles, mit en gage les diamants de sa femme, et finit par mourir à la peine, n'ayant pas un florin. Les frères du mort, Georges et Claus, réclamèrent alors de Gutenberg une somme de 100 florins qu'ils disaient réservée par l'acte social à la succession de celui des trois associés qui viendrait à mourir, mais dont toutefois ils le déclaraient quitte volontiers, s'il consentait à les admettre tous deux dans la société, au lieu et place de Dryzehn. Gutenberg refusa d'accéder à l'une et à l'autre de, ces deux réclamations. De là le procès entamé contre lui en 1439, pour lequel se produisirent les curieux témoignages qui nous ont guidés dans toute cette histoire, et dont le résultat fut un arrêt du tribunal, déclarant que la somme due par Gutenberg aux héritiers ne dépassait pas quinze florins. Dès lors la société fût rompue de fait.
Poursuite des recherches
et association avec Faust
L'intervention de Pierre
Schaeffer « Pierre de Gernsheim, ayant compris le projet de son maître Faust, et plein de goût pour son art, trouva, par l'inspiration divine, la manière de tailler des caractères que l'on appelle matrices ; de fondre, par ce moyen, d'autres caractères, de les multiplier, de leur donner la même forme, sans être obligé de graver chacun d'eux séparément. Il fit à l'insu de son maître une matrice abécédaire et la montra à Jean Faust, avec les caractères qu'il avait fondus par ce moyen. Son maître en fut tellement ravi, que, dans le transport de sa joie, il promit sur-le-champ sa fille unique, Christine, à Pierre, qui l'épousa peu de temps après. Mais ils rencontrèrent de grandes difficultés dans ce genre de caractères comme dans les caractères qu'auparavant ils sculptaient sur bois ; car la matière était trop faible pour pouvoir résister à la pression. Enfin, par un alliage de plusieurs autres métaux, ils trouvèrent une substance qui put soutenir pendant quelque temps la force de la presse. » Ce document, qui écarte si brutalement Gutenberg de cette invention à laquelle il avait voué sa vie, cette relation émanée de la famille de Faust et de Schaeffer, et si exclusivement favorable à tous deux, sans dire même un mot de leur illustre associé, aurait peut-être pu soulever des doutes judicieux, si la conduite de Faust envers Gutenberg ne venait malheureusement lui donner raison. La découverte inespérée de l'heureux Schaeffer mettait à néant toutes les précédentes tentatives du vieux chercheur, et même lui ôtait tout droit à l'exploitation d'un procédé que ses mille épreuves avaient préparé, qu'il avait cent fois touché du doigt, mais qu'une main plus jeune et plus prompte avait enfin su saisir, et que, par conséquent, il ne pouvait justement revendiquer comme sien. Faust lui fit bien voir qu'il n'avait rien à y prétendre, et, bien plus, qu'il était devenu inutile et gênant dans l'association, victorieuse sans lui. Il lui fit un procès en revendication des 800 florins d'or mis par lui dans la société et des intérêts que cette somme avait dû produire depuis 1450. Voici, traduit de l'allemand, l'acte original qui concerne cette affaire et qui justifie des tortures que, cette fois encore, l'ingrate et dure spéculation peut faire subir au génie : « Faust assigne Gutenberg en justice pour recouvrer la somme de 2,020 florins d'or, provenant de 800 florins qu'il avait avancés à Gutenberg, selon la teneur du billet de leur convention, ainsi que d'autres 800 florins qu'il avait donnés à Gutenberg en sus de sa demande pour acheter l'ouvrage, et d'autres 36 florins dépensés et des intérêts qu'il lui avait fallu payer, n'ayant pas lui-même les fonds suffisants. Gutenberg répliqua que les premiers 800 florins ne lui avaient pas été payés, selon la teneur du billet, tous et à la fois ; qu'ils avaient été employés aux préparatifs du travail ; qu'il s'offrait à rendre compte des derniers 800 florins ; qu'il ne croyait pas être tenu de payer ni intérêt ni usure. Le juge ayant déféré le serment à Faust, celui-ci l'ayant prêté, Gutenberg perdit sa cause et fut condamné à payer les intérêts et la partie du capital qu'il aurait employée pour sa dépense particulière, ce dont Faust demanda et obtint acte du notaire Helmasperger le 6 novembre 1455. » Gutenberg, chassé, ruiné, exproprié même ; car, ne pouvant payer la somme que l'arrêt rendait exigible, il dut laisser à Faust ses matériaux, ses presses, ses caractères ; Gutenberg quitta Mayence comme il avait quitté Strasbourg, et plus misérable même. Il y revint pourtant, n'ayant pas d'autre refuge ; le prince-évêque Adolphe de Nassau l'y reçut, et, l'ayant admis parmi ses gentilshommes, lui fit une pension par charité. C'est ainsi qu'il vécut obscur, délaissé, presque mendiant jusqu'en 1468, année de sa mort. On a prétendu que, sur ses derniers jours, il avait trouvé encore d'autres associés, et qu'il avait enfin réussi à établir à Mayence une imprimerie rivale de celle de Faust. Les preuves manquant, nous n'y voulons pas croire. Gutenberg vieilli, à bout d'efforts et d'illusions, se devait à lui-même de ne pas tenter cette dernière épreuve. Nous aimons mieux nous l'imaginer morose, désespéré, et, du fond de sa misère inactive, regardant grandir cette grande invention dont il était le père et qui l'avait renié. Justice pourtant lui fut rendue plus tard. Jean Schaeffer, qui avait succédé à son père, disparu on ne sait comment pendant le pillage de Mayence, avoua humblement dans la dédicace du Tite-Live offert par lui à Maximilien « que l'invention primitive appartenait à Gutenberg. » Mais alors l'Imprimerie remplissait déjà le monde, emportant avec elle les deux noms de Faust et de Schaeffer. Partout, à Naples, à Rome, à Milan, à Florence, les livres imprimés se vendaient à profusion. Schaeffer avait déjà, en 1475, un entrepositaire à Paris ; c'était un Allemand nommé Hermann de Stathoën. Il mourut, et les commissaires royaux, en vertu du droit d'aubaine, firent saisir et vendre tous ses livres. Schaeffer réclama ; le roi des Romains, Frédéric III, appuya sa demande, à laquelle Louis XI donna pleine raison par ordonnance du mois d'avril 1475. Mais ce roi, si avide d'idées nouvelles, ne devait pas s'en tenir vis-à-vis de l'Imprimerie à cet acte de justice. |
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