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LES ROSATI D'ARRAS.
par Hippolyte Carnot,
Membre de
l'Institut, texte publié dans Le Magasin pittoresque, 1886
[Nous avons ajouté
les intertitres]
Il a
existé en France des sociétés littéraires qui, sans
prétention au titre d'académies, auraient mérité
une place au moins dans nos chroniques régionales et qui ne l'ont pas
toujours obtenue.
Je n'exprime
pas ce regret à l'occasion des Rosati d'Arras; ils ont trouvé
leur historien en M. Arthur Dinaux, de Valenciennes, savant modeste, collectionneur
de curieux documents, connu surtout par les fouilles faites au village de Famars
(Nord), qu'il avait provoquées et qui ont mis au jour plus de trente
mille médailles romaines. M. Dinaux a publié autrefois (août
1850) dans les Archives du Nord de la France, une notice sur les Rosati,
imprimée à part, in-4, sur papier rose, avec des vignettes,
rareté typographique alors même qu'elle n'eût pas d'autre
intérêt. Je serais ingrat si je n'en faisais pas un éloge
mérité, puisque l'auteur voulut bien dans le temps me l'envoyer
comme fils
d'un
Rosati [NDLE : Hyppolite Carnot est fils du célèbre Lazare
Carnot, lui-même membre des Rosati].
Je veux
simplement rappeler ici la notice de M. Dinaux, en y ajoutant quelques traditions
qu'il m'a été donné de recueillir. Je sais que des pièces
intéressantes concernant cette compagnie de la gaie science ont
été rassemblées par une main soigneuse, et mon esquisse
a surtout pour but d'inviter celui qui possède ce petit trésor
à en faire jouir le public.
Les Rosati
ont duré dix ans : c'est plus que ne durent les roses, mais c'est
peu pour une société.
Le 19 juin
1778, un groupe de jeunes gens d'Arras, de ceux qui aiment l'art dans le plaisir,
faisant une partie de campagne aux environs de la ville, se reposèrent
dans un jardin plein d'ombrage et de fleurs, au bord de la Scarpe. On déjeuna
gaiement, on lut des vers; puis l'un de ces .jeunes gens, répandant sur
la table des feuilles de roses, proposa aux convives de se réunir, chaque
année au même lieu pour y célébrer de la même
manière une fête champètre. Son
voeu fut
acclamé, et des libations saluèrent l'acte de naissance des Rosati.
Arras
Arras
a possédé jadis une république des lettres, monarchie si
l'on veut, puisqu'elle avait un roi, le roi des ménestrels. Ses
fêtes joyeuses et ses représentations satiriques eurent de la célébrité
; et le nom d'un de leurs coryphées, Adam de la Halle, ne doit pas être
mis en oubli. Son existence fut très agitée. Des couplets trop
hardis l'ayant obligé de s'expatrier, il suivit Charles d'Anjou à
Naples, et mourut dans cette ville vers 1285. Un trouvère rapporta à
Arras son dernier ouvrage, le Jeu de Robin et Marion, une des meilleures
parmi nos anciennes pastorales, qui fut longtemps représentée
au jour anniversaire de la mort de l'auteur: Adam de la Halle a laissé
des Jeux partis (petites pièces dialoguées), des chansons,
des motets, des rondeaux.
Le lieu
Revenons
aux Rosati: ils furent le dernier écho des Trouvères
artésiens, dont M. Arthur Dinaux s'est aussi fait l'historien. Pendant
la durée éphémère de leur Société,
le goût des lettres sembla réellement un peu ranimé dans
le pays.
Le jardin
où ils se réunissaient était situé dans un des faubourgs
d'Arras (à Avesne), au voisinage d'une ancienne abbaye de filles de l'ordre
de Saint-Benoit. Douze religieuses seulement composaient cette abbaye, oit l'on
devait pour entrer fair epreuve de noblesse militaire; leur cloître et
leur église furent incendiés pendant le siège de 1654,
qui mit en présence l'un de l'autre deux célèbres capitaines
français, Turenne et Condé, ce dernier malheureusement allié
de l'étranger.
Statuts
Les statuts
des Rosati étaient fort simples, et fort simple aussi la cérémonie
d'admission. Le récipiendaire se présentait devant la société,
sous un berceau orné des bustes de la Fontaine, de Chapelle et de Chaulieu.
On lui offrait une rose dont il respirait trois fois le parfum, puis il l'attachait
à sa boutonnière. Une coupe de vin rosat lui étant présentée,
il la vidait en l'honneur de la compagnie. Après quoi on lui délivrait
un diplôme en vers, auquel il répondait par des couplets. Un certain
nombre clé ces diplômes se sont conservés, écrits
avec une encre rose ; quelques-uns sont agréablement tournés.
Les membres des
Rosati
Si maintenant
nous parcourons la liste des Rosati, nous y voyons des noms un peu surpris
de se trouver ensemble, ceux de magistrats, de militaires, d'ecclésiastiques,
etc.
Parmi les
premiers, M. Foacier de Ruzé, avocat général au conseil
d'Arras;
Parmi les
militaires, assez nombreux, le marquis Baillot de Vaugrenant, major de la citadelle
d'Arras; M. de Champmorin, major du génie;
MM. Carnot,
Marescot, Dumény (le chevalier), tous trois capitaines du génie;
les deux premiers sont devenus généraux;
Parmi les
membres du clergé, nombreux aussi, citons d'abord l'abbé Roman,
le gentil Roman, disait-on, et nous avons lu de lui des poésies
assez légères. Il avait fondé l'Académie bocagère
du Valmuse, titre emprunté au nom d'une maison de plaisance que l'abbé
s'était fait construire dans le parc d'un de ses amis, près de
Douai. Chacun des académiciens choisissait un arbre de ce beau parc,
et y gravait sa signature. Les Valmusiens s'occupaient de botanique et se livraient
aux exercices du corps, à la danse, à l'escarpolette, etc.
M. Daubigny, professeur
de théologie, se faisant scrupule, sans doute, de figurer sur la liste
d'une confrérie anacréontique comme celle des Rosati, ne
donnait que les premières lettres de son nom.
Un chanoine
régulier, M. Dumarquez, se gênait moins; il s'excusait en ces termes
de ne pas assister à une Fête des roses.
Malgré mon
absence,
Je serai, Messieurs,
Ici comme ailleurs,
Mais surtout à table,
D'esprit et de coeur,
Votre serviteur,
Dumarquez, bon diable.
Un nom que
nous aurions dû prononcer avant tous les autres est celui de M. Legay,
chancelier de l'ordre et son constant inspirateur, puisque nous voilà
en train de lire des vers, lisons-en quelques-uns de lui où il peint
les réunions amicales des Rosati:
Sur un banc raboteux,
chancelant, mal posé,
Nous nous plaçons à l'aventure.
Chaque bouquet
bientôt, en couronne tressé,
Presse nos
fronts d'une fraîche ceinture.
La nappe au
même instant disparaît sous les fleurs.
La couleur du vin
qu'on varie,
Tantôt
contraste et tantôt se marie
A l'incarnat
de leurs couleurs.
Le Dieu de
la plaisanterie,
Momus, vient
animer les propos des buveurs.
On parle vers,
amour, même philosophie.
Nous avons connu
le fils de M. Legay, excellent proviseur du lycée Bonaparte, aujourd'hui
Condorcet.
Citons encore,
parmi les Rosati, M. Harduin, secrétaire perpétuel de l'Académie
d'Arras ; M. Lenglet, jurisconsulte, dont le fils fut représentant du
peuple en 1848; le chevalier de Bertin, l'émule de Parny; Caigniez, le
Racine des boulevards, dont les mélodrames nous ont fait pleurer dans
notre enfance; Dubois de Fosseux, ancien écuyer du roi, auteur d'un Éloge
de Suger.
Et encore
Charamond, jeune avocat fort distingué, qui devint plus tard inspecteur
aux revues, et périt dans la retraite de Russie; Tarenget, médecin,
mort recteur de l'Académie de Douai; Pierre Cot, musicien; Corbet, statuaire;
Bergaigne, peintre de fleurs, qui se plaisait à décorer les diplômes
de la société.
Un Rosati
chantait, nous devons le croire, avec beaucoup de sensibilité, puisqu'un
de ses collègues s'écriait en parlant de lui :
Ah ! redoublez
d'attention,
J'entends la voix de Robespierre ;
Ce jeune émule d'Amphion
Attendrirait une panthère.
C'est par d'autres chansons que ce Rosati devait se distinguer plus tard ; à
l'époque dont nous parlons il travaillait à l'Éloge de
Gresset.
Beffroy
de Reigny, fameux autrefois sous le nom du cousin Jacques, aujourd'hui
parfaitement oublié, était
un type bien
original pourtant, bouffon qui riait et faisait rire le public en pleine terreur;
journaliste, poète, auteur de pièces de théâtre dont
il composait la musique. Il a fait courir tout Paris au Club des bonnes gens,
à Nicodème dans la lune; et peut-être devrait-on ne pas
refuser dans les chansonniers français une place à ses jolis couplets
si connus
Petit à
petit,
L'oiseau
fait son nid.
Ce qui vaut mieux que tout cela, c'est que le cousin Jacques, grâce
à des amis influents qu'il avait conservés, se fit, pendant la révolution,
l'intermédiaire de beaucoup d'actes de clémence et de bienfaisance.
Je l'ai vu
peu de temps
avant sa mort; il me paraissait vieux, quoiqu'il ne le fût pas, mais j'étais
si jeune ! D'ailleurs toujours le même : franchise et gaieté.
Les Rosati
célébrèrent encore une fête dans l'été
de 1787. Le procès-verbal de leur réunion, rédigé
en vers par M. Legay, se termine ainsi
Dans ces lieux,
joyeuse troupe,
Au mois de mai retrouvez-vous.
Se retrouva-t-on? oui certainement, puisqu'un diplôme, rimé selon
l'usage, fut délivré en 1788 à un poète lillois, nommé
Feutry. Ce jeune
homme a péri tragiquement. Mais n'attristons pas nos dernières lignes.
La date du diplôme en question n'est pas douteuse :
Au déclin
d'un beau jour, en l'an mil huit cent moins douze.
M. Legay,
qui avait été l'un des fondateurs de la Société, lui
demeura fidèle jusqu'à la fin; car il publia en 1788, sous le titre
de Souvenirs, deux volumes de vers, avec un appendice qui contient un choix
de morceaux lus ou chantés dans les assemblées des Rosati; et
il donna pour épigraphe à cette collection un quatrain de Carnot
:
Venez, illusions
légères,
Du rêve de la vie embellir les tableaux
Venez réaliser des biens imaginaires,
Et sur des maux réels étendre vos bandeaux.
Les Rosati de Paris
Après la tourmente révolutionnaire, quand la constitution de l'an
3 fut fondée, Carnot, devenu l'un des directeurs de la République,
ouvrit son salon aux savants, aux artistes et aux gens de lettres. On y voyait
Bougainville, Berthollet, Prony, Népomucène Lemercier, Monsigny,
Dalayrac. Plusieurs anciens Rosati d'Arras s'y présentèrent, entre
autres Beffroy de Reigny et Dubois de Fosseux. L'idée de créer
des Rosati de Paris fut mise en avant et reçut même un commencement
d'exécution. Nous trouvons dans le Furet littéraire, recueil
des plus rares ouvrages en vers et en prose (1800), une Épître
des Rosati de Paris au citoyen Carnot, signée Mercier, de Compiègne.
Cet écrivain est d'ailleurs plus connu par sa fécondité
que par son talent.
Permettez-moi,
en façon de post-scriptum, d'emprunter quelques lignes à mes Mémoires
sur Carnot:
«
Le directeur habitait l'hôtel du Petit-Luxembourg. Il lui naquit un fils.
L'usage n'était plus alors de prendre ses prénoms dans le catalogue
de l'église,
mais dans l'histoire des anciennes républiques : les enfants étaient
des Lycurgue, des Gracchus, des Brutus. Carnot n'aimait pas ces démonstrations;
il choisit pour son fils le nom d'un sage de l'Orient, qui n'a laissé
que de belles poésies et des préceptes de morale : il l'appela
Sadi. »
Peut-être le souvenir des Rosati et du Jardin des roses au bord de la
Scarpe ne fut -il pas non plus étranger à son choix.
[NDLE : Le
frère aîné d'Hippolyte Carnot se prénommait Nicolas
Léonard Sadi (1796-1832), il est considéré comme le père
de la thermodynamique. Hyppolite eut un fils prénommé François
Marie Sadi (1837-1894), plus connu sous le nom de Sadi Carnot et qui fut président
de la république de 1887 à 1894]
________________________
La Société
des Rosatti
extrait de
L'Intermédiaire des chercheurs et curieux,
1866
Cette société, à laquelle M. Arthur Dinaux a consacré
une notice détaillée dans les Archives du nord de la France,
IIIe série,
t.1, p.
64, tirait son nom d'un berceau de roses, sous lequel s'assembla pour la première
fois, à Arras, le
12 juin
1778, une réunion anacréontique composée de magistrats,
d'avocats, d'abbés, d'officiers du génie et de propriétaires
de l'Artois. L'écrivain que nous venons de nommer la définit en
disant: « C'était moins, sans doute qu'une académie littéraire,
mais c'était certainement plus qu'une réunion bachique. »
Parmi ses membres résidents ou correspondants, on peut citer : Legay,
fondateur et chancelier de l'Ordre, mort juge d'instruction au tribunal de Béthune,Carnot,
alors capitaine au corps royal du génie,- Beffroy de Reigny, dit le
Cousin Jacques, -le poête érotique Bertin, - et enfin Maximilien
de Robespierre, avocat à Arras, qui depuis... ; mais alors il sacrifiait
aux Grâces, et l'un a conservé quelques- uns des vers que cet étrange
épicurien, devenu depuis d'un rouge si foncé, compose sous l'invocation
sacramentelle de la Rose. Voici le premier et le dernier couplet de ses
Remerciements à la Société des Rosati, sur
l'air : Résiste-moi, belle Aspasie:
Je
vois l'épine
avec la rose
Dans les
bouquets que vous
m'offrez,
Et lorsque
vous me célébrez,
Vos vers
découragent ma prose.
Tout ce
qu'on m'a dit de charmant,
Messieurs,
adroit de me confondre:
La Rose
est votre compliment
L'Epine
est la loi d'y répondre ....
. . . .
. . . . . . . . .
A vos bontés,
lorsque j'y pense,
Ma foi, je ne vois
pas d'excès,
Et, le tableau
de vos succès
Affaiblit
ma reconnaissance.
Pour de
semblables jardiniers
Le sacrifice
est peu de chose ;
Quand on
est si riche en lauriers,
On peut
bien donner une Rose.
La dernière réunion de ce genre, dont on ait conservé la
trace, eut lieu dans l'été de 1787 ; Robespierre alla pérorer
à Paris, et les formes acerbes de Joseph Lebon remplacèrent
dans l'Artois les banquets anacréontiques et les petits vers à
l'eau de rose.
La Société des Rosati de Paris, sur laquelle porte plus
particulièrement la question de M. Faucheux, fut une suite et une imitation
de celle d'Arras. Elle florissait vers l'an V, et elle dura au moins jusqu'en
l'un VIII. M. A. Dinaux affirme
qu'aux travaux
habituels de leurs anciens d'Arras, ils joignaient le passe-temps de couronner
des rosières." D'un autre côté, Mérard de Saint-Just
déclare nettement « qu'une femme admise dans la Société
ne peut être appelée Rosière." Nous aimons à
croire qu'il ne s'agit pas là d'une
incompatibilité
morale, mais d'une simple
question philologique. Quoi qu'il en soit,
cette soci té comptait, parmi ses membres
du sexe
masculin, outre Mérard de Saint-Just,
déjà nommé, l'ex-génovéfin Mulot,
le fécond
Mercier de Compiègne, et enfin
Carnot,
qui forme en quelque sorte le
trait-d'union entre les deux Sociétés. On
trouve, dans le Furet littéraire de l'an VIII,
p. 92, une
Epitre au citoyen Carnot, Rosati
d'Arras, et depuis membre du Dîrectoire
exécutif, en lui envoyant son diplôme de
Rosati de Paris.
________________________
extrait de Lasteyrie Du Saillant, Robert-Charles, Bibliographie générale
des travaux historiques et archéologiques publ. par les Sociétés savantes de
la France. Tome IV, 1904
En 1778 fut fondée
à Arras une Société
des Rosati
qui semble s'être proposé un but analogue à celui que poursuit
depuis longtemps dans le Midi l'Académie des jeux floraux. Elle eut assez
de succès pour susciter la fondation à Paris d'une association
analogue qui florissait en l'an v; M. Tourneux a retrouvé un exemplaire
d'un discours prononcé par Mulot dans une réunion des Rosati de
Paris, tenue le
21 floréal
an V (10 mai 1797).
Cette Société existait encore en 1800.
Une notice
lui a été consacrée par Victor Barbier en 1889.
Après
une assez longue éclipse, elle a été reconstituée
par un groupe de littérateurs originaires de l'Artois, de la Picardie
et de la Flandre. Elle a aujourd'hui des sections dans plusieurs villes du Nord,
notamment à Amiens, Arras et Valenciennes. Elle a pour organe, depuis
1895, la
Revue septentrionale
dirigée par M. René Le Cholleux, "rénovateur des Rosati".
Ses membres s'occupent principalement de poésie, et organisent entre
compatriotes des réunions artistiques et littéraires. Je ne signale
donc cette Société que pour mémoire.
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