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Plaquette de 16
pages, imprimées à Paris (Imprimerie d'Antoine Bailleul,
rue d'Helvétius, n°71) [Sans date, sans nom d'auteur]. In-8° J'avais depuis deux ans le projet d'essayer de gravir
le Pic du Midi (1), réputé
de tout tems inaccessible, et qu'une longue tradition, chez les montagnards
eux-mêmes, avait toujours représenté comme tel.
Mon savant et modeste concitoyen, M. l'abbé Palassou, avait constaté
ce fait, d'après l'opinion reçue, dans son excellent ouvrage
ayant pour titre : Essai sur la Minéralogie des Monts-Pyrénées,
et il n'a point paru douter de la vérité d'une assertion
qui avait en sa faveur les autorités les plus anciennes et les
plus respectables. Cependant j'avais ouï dire qu'un particulier
nommé Delfau (2), devenu
Secrétaire Général du département de la
Dordogne avait réussi dans cette périlleuse entreprise. NOTES
Armand d'Angosse
Voyage au Pic du Midi de Pau
Exécuté le 14 Thermidor de l'An X
(2 Août 1802)
Le texte (attribué à Armand d'Angosse) est publié
ici, à partir de sa réédition dans le n° 5
du Bulletin Alpin (janvier 1897, pp. 97-104), à la suite de la
communication du récit à la revue par le Comte Henri Russell.
Un seul exemplaire connu, chez un collectionneur privé.Le Comte Henry Russell nous communique le récit
suivant d'une ascension de l'Ossau qui a été la seconde
connue, puisque l'auteur y parle de la première. Nous le reproduisons,
avec ses notes, sans y rien changer, et remercions le Président
d'honneur de la section de Pau, de cette intéressante communication.
M. Ch. de C***, mon parent et mon ami, qu'une santé délabrée
conduisait alors aux Eaux-Bonnes, se trouva fort heureusement possesseur
de cette relation qu'il tenait de l'auteur lui-même. Je la lus
avec avidité, mais j'y trouvai des détails si terribles,
que je regardai comme exagéré le récit des dangers
qu'il prétendait avoir courus; et dès lors, je résolus
de tenter sans délai la même aventure, convaincu que, puisque
quelqu'un avait réussi, je pouvais espérer d'obtenir le
même succès.
La journée du 14 thermidor me parut favorable à mon dessein.
Jamais le tems n'avait été plus beau. Les légères
vapeurs du matin, s'élevant rapidement, se confondaient dans
le ciel, et le soleil éclairait déjà les sommets
les plus élevés, lorsque je quittai M. de Castellanne,
préfet du département, qui revenait à Pau; ses
dernières paroles m'exprimèrent un souhait aimable et
encourageant.
Je partis des Eaux-Chaudes à 5 heures et demie du matin, ayant
avec moi Jacques Clabères, de Laruns, pasteur, âgé
de 26 ans, qui s'était chargé de me servir de guide ;
il n'avait été au sommet du Pic, disait-il qu'une fois
(3). Madame Penent, chère
à toutes les personnes à qui elle a pu offrir les secours
de son active bienfaisance, me l'avait procuré. Je lui avais
adjoint André de Béon, homme de tête et de résolution,
intrépide chasseur d'izards, que je savais ne redouter aucune
espèce de danger et qui, uniquement par zèle, m'avait
proposé de m'accompagner. Mon fidèle François voulut
aussi me suivre ce jour-là : si j'ai couru quelques périls,
il les a tous partagés et il m'a donné une preuve d'attachement
d'autant plus forte, qu'il était loin d'attacher autant de prix
que moi au succès de mon entreprise.
Nous quittâmes Gabas à 7 heures, après nous être
prémunis contre la faim, et, négligeant de suivre la route
ordinaire, nous nous élevâmes par une montagne appartenant
à la commune de Bielle, nommée Sagette-Braque, ayant à
notre gauche la Pène de la Vigne et laissant à notre droite
le Gave et le chemin de la Mâture. Le père de Jacques Clabères
qui portait nos vivres, prit le chemin le plus facile et le plus long,
et nous le quittâmes en lui donnant rendez-vous dans les environs
du Pic. Près d'arriver aux pâturages de Magnabatch, j'éprouvais
une faiblesse qui dura plus d'une demi-heure, et pendant laquelle je
perdis plusieurs fois connaissance. Je pus continuer ensuite à
m'élever moins vite, mais avec infiniment de peine et de mal-aise.
Je pense que la seule rapidité de notre marche, jointe au copieux
déjeuner que j'avais fait, détermina cette légère
incommodité.
Nous traversâmes bientôt les riches pâturages de Magnabatch,
et nous nous élevâmes ensuite à ceux de Susou, qui
atteignent la base du Pic. Forcés d'y attendre nos vivres qui
n'arrivèrent qu'à onze heures, nous nous livrâmes
tous à un repas qui m'était devenu bien nécessaire.
Pendant que mes compagnons de voyage renouvelaient leurs forces et se
rendaient Bacchus favorable, devenu prudent par l'expérience
que je venais de faire, je me bornai, non toutefois sans regretter la
perte de mon appétit, à boire une partie de ma provision
d'eau-de-vie. Cette boisson vraiment merveilleuse dans ces circonstances,
et la diète que je m'imposai, me rendirent des jambes qui devaient
bientôt m'être si utiles. Deux pasteurs que nous avons rencontrés,
et qui, depuis long-tems, conduisaient toutes les années leurs
troupeaux au pied du Pic, nous prédirent que nous n'y gravirions
pas, tant une vieille opinion qui a pour elle la sanction des siècles,
est une chose difficile à détruire.
M. Ramond a souvent eu occasion d'observer combien le montagnard indigène
des Pyrénées est susceptible de céder au sentiment
de la curiosité que provoque cette inquiétude naturelle
de l'esprit, bien moins active chez l'habitant des Alpes; mon excursion
en fournit une nouvelle preuve. Jean et Sébastien Trésuaguet
frères, de Billères, village de la vallée d'Ossau,
âgés l'un de quatorze et l'autre de seize ans, vinrent
nous demander la permission de nous suivre. Jacques Soucasau, du même
lieu, pasteur comme eux, réclama la même grâce; elle
leur fut accordée.
Nous laissâmes nos bagages entre les mains du père de Jacques
Clabères, nous ne primes qu'un flacon d'eau-de-vie, un marteau,
pour laisser sur le sommet du Pic des marques de mon court séjour,
et un fusil. Nous nous élevâmes encore une demi-heure environ,
et nous arrivâmes au pied du formidable rocher à une heure
de l'après-midi. Là, je tirais mes spartilles et me mis
pieds nuds; je passai un mouchoir autour de ma tête, et, sans
autre vêtement qu'un léger pantalon, je me préparai
à suivre mes conducteurs qui venaient de lui rendre le même
hommage que moi.
Malgré toute ma résolution, j'avoue que je frémis
lorsque j'envisageai le seul passage par lequel je devais monter. Je
ne m'étais fait aucune idée semblable des difficultés
que j'avais à vaincre; j'eus un moment d'hésitation assez
fort que je surmontai néanmoins bientôt, et, avec l'aide
de mes guides, je gravis une roche lisse et presque perpendiculaire,
élevée de plusieurs toises au-dessus d'un précipice
que forme la projection du Pic, vers les pâturages de Susou que
je venais de quitter. Ce premier pas, heureusement franchi, j'en trouvai
successivement quatre ou cinq autres à peu près aussi
périlleux, et au-dessus desquels je m'élevai avec le même
bonheur. Je n'entreprendrai pas de les décrire, je craindrais
d'en dire trop ou trop peu; il est si difficile d'être exact,
quant on veut peindre des lieux où l'âme a été
aussi fortement agitée. Après avoir monté plus
d'une heure et demie, toujours avec beaucoup de peine et de précaution,
la pente se radoucit, je crus alors apercevoir le terme de mon voyage.
Je touchai, moi, le sommet du Pic à trois heures de l'après-midi,
deux heures après mon départ de sa base; je n'y trouvai
que ruines et décombres.
Tandis que livré tout entier au magnifique spectacle qui se déployait
à mes yeux, je jettais des regards de surprise et d'admiration
sur l'immense étendue qui m'environnait, mes guides aperçurent
assez près de nous des Izards (4)
qui, se doutant peu qu'on pût venir les troubler, paraissaient
profondément endormis, et sur-le-champ l'un de nous se saisissant
du fusil, ajuste celui qu'il destine à la mort. Deux fois l'arme
rebelle refusa de servir notre espoir; le coup partit enfin, mais il
fut malheureux et donna l'éveil à la troupe qui était
nombreuse. Arrêtés dans leur fuite par des précipices
de la hauteur du Pic, ils revinrent vers les chasseurs qui, pour comble
d'infortune, venaient de perdre leur amorce. Alors, commença
pour nous le spectacle le plus singulier et le plus amusant. Les Izards,
effrayés de nouveau par les pierres qu'ils leur jetaient, se
replièrent sur les mêmes lieux où ils avaient d'abord
cherché un refuge; mais, convaincus de l'impossibilité
de les franchir, ils rétrogradèrent fièrement,
bravèrent une nuée de pierres, ils vinrent déboucher
par l'unique issue qu'il leur demeurait entre deux précipices
perpendiculaires, les plus profonds de cette région élevée.
C'est à l'extrémité de ce passage que je les attendais
avec François et les trois jeunes gens dont j'ai déjà
parlé, dans une situation où nous ne courions aucune espèce
de danger. Nous eûmes un moment de jouissance unique qui se répète
bien rarement pour les chasseurs les plus assidus et les plus déterminés.
Les Izards ne perdirent dans cette occasion qu'un des leurs qui, rencontré
par une grosse pierre en franchissant l'un des angles formé par
le passage que j'ai décrit, et par l'un des côtés
de l'abyme, fut renversé à une profondeur que mon oeil
effrayé osait à peine envisager; le reste de la troupe
nous eût bientôt dépassés, avec une légèreté
inconcevable.
Le Pic se divise en deux sommets, quoi qu'on n'en aperçoive qu'un
principal. Le premier cache le second qui est du côté de
l'Espagne et qui peut être élevé d'une hauteur que
je ne saurais estimer au-delà de trois ou quatre toises. Le passage
de l'un à l'autre qui est celui par lequel les Izards vinrent
déboucher, est vraiment effrayant (5).
Ils sont tout au plus à quarante minutes de distance. Indépendamment
de ces deux sommets qui semblent à l'oeil n'en présenter
qu'un, il en est un autre qui fait la fourche et qui est inaccessible
dans toute la force du terme. Il est bien moins élevé
que le principal, celui-là est parfaitement visible.
Je voulais, comme je l'ai dit, laisser au haut du Pic une marque du
court séjour que j'y avais fait, et, dans ce dessein, je m'étais
muni d'un marteau ; mais l'extrême dureté du granit (6)
résista à mes efforts, au point qu'après avoir
long-tems frappé, je fus forcé de renoncer à ce
moyen; alors je posai sur un roc qui me présentait une surface
horizontale, huit quartiers plus petits de la même substance.
Si, comme je n'en doute pas, quelque voyageur ami des montagnes, exécute
après moi la même entreprise et que les tempêtes
et les mauvais tems qui ont lieu dans ces régions élevées,
n'ayent pas encore détruit mon ouvrage, il les trouvera dans
la direction des deux lacs d'Oyoux et sur le Pic principal inférieur,
le seul que l'on apperçoive, et que l'on puisse appercevoir du
côté de la France.
C'est là seulement que j'ai reconnu ses traces d'une manière
non équivoque, et que, pouvant juger le premier des dangers auxquels
il s'était exposé, j'ai apprécié son dévouement
comme il mérite de l'être.
Il est aisé de prédire que le jour où ce passage
sera impraticable, n'est pas éloigné. Alors le Pic du
Midi de Pau, sans cesser de produire le même effet aux yeux, offrira
trois sommets distincts dont le plus et le moins élevé
seront absolument inaccessibles.
Malgré l'élévation à laquelle je me suis
trouvé, je n'ai ressenti aucun refroidissement dans l'atmosphère.
La température du sommet ne m'a point paru différente
de celle de la base; l'air y est aussi calme qu'il l'est souvent à
Pau ; je n'y sentis pas le besoin de me couvrir. L'immense perspective
qui s'offrait à mes regards, me montrait les plaines du Béarn
et de la Gascogne, du côté de l'Espagne je dominais une
partie montueuse de l'Aragon, où je pus observer, ce qui a déjà
été remarqué, que le sol des plaines espagnoles
de l'autre côté des Pyrénées, est plus élevé
que celui-ci. Mon horizon n'avait de part et d'autre de bornes que ma
vue; je dominais à l'ouest les montagnes de la vallée
d'Aspe, mais à l'est une suite de sommets continus et assez rapprochés
m'arrêtait tout à coup. Je n'avais point de lunettes, cet
oubli me priva d'une grande jouissance.
Jacques Clabères seul, entre nous, y éprouva une soif
brûlante; il ramassa de la neige à plusieurs reprises et
la suça pour se désaltérer, sans pour cela se plaindre
d'être incommodé. Ces sortes d'accidents qui deviennent
souvent plus sérieux, et dont les causes sont toujours très
variées, se manifestent d'après l'opinion de M. de Saussure,
à une hauteur qui paraît fixée pour chaque homme
par son tempérament.
Il était trois heures et demie, je voyais s'élever quelques
vapeurs à l'extrémité de l'horizon et de légers
nuages glisser sur les cimes des monts inférieurs. Quoique j'eusse
peu joui du magnifique spectacle que j'étais venu chercher avec
tant de peine, je crus prudent d'exécuter ma retraite qui, plus
tard, aurait pu devenir bien difficile. Je commençai donc à
descendre et, à mon grand étonnement, je m'abaissai avec
une facilité dont j'étais loin de concevoir la plus légère
idée. Mon imagination s'était-elle exagérée
les dangers de mon ascension, ou bien, comme les braves et agiles montagnards
qui m'accompagnaient, m'étais-je déjà familiarisé
à la vue de leurs précipices et de leurs ruines
(7)?
A cinq heures précises, j'arrivai au bas du Pic; je mis donc
une demi-heure de moins à descendre et cependant je ne m'étais
point arrêté en montant.
Avec quelle joie ne retrouvai-je pas mes vêtements! Je croyais
revenir d'un long et périlleux voyage et revoir des amis que
j'avais laissés sur les rivages de ma patrie. Nous eûmes
bientôt atteint le père de Jacques Clabères qui,
comme l'on sait, j'avais laissé un peu plus bas chargé
de la garde de nos vivres, nous y fîmes une halte, bûmes
au Pic, et partîmes: le même soir j'étais aux Eaux-Chaudes.
Je crois me rappeler (car la relation de M. Delfau n'a fait que passer
entre mes mains), que son ascension sur le Pic du Midi de Pau eut lieu
au mois d'octobre; il était à cette époque couvert
de neige qui, remplissant toutes les cavités, durent lui dissimuler
une partie des précipices que j'ai que, si le Pic eût été
découvert, il n'eut pu atteindre le résultat qu'il s'était
promis. Lorsque mon ascension a eu lieu, le Pic n'avait, au contraire,
quelques neiges que dans le voisinage de son sommet, où la pente
commence un peu à se radoucir.
Ainsi nos deux voyages servent à prouver la possibilité
de la gravir à deux époques où son aspect est bien
différent.
Il est donc bien prouvé maintenant que le Pic du Midi de Pau
est accessible, je suis certain, d'après ma propre expérience
que, s'il était plus fréquenté, on trouverait des
passages moins dangereux que quelques-uns de ceux par lesquels je me
suis élevé, et j'affirme qu'il n'existe pas dans les Pyrénées
de montagnard résolu qui, dans son état actuel, essaye
de le gravir sans succès.
J'ai cru devoir aux amis des montagnes, l'historique de mon excursion.
C'est à eux, c'est à mes compatriotes que j'adresse ces
souvenirs que ma plume a tracés rapidement, et tels qu'ils se
sont présentés à ma mémoire et à
mon coeur. J'aurais rempli mon but, si j'ai rendu nettement les détails
de mon entreprise et les impressions que j'ai reçues en l'exécutant.
1- Il est élevé, d'après M. Flamichon, de 1.407
toises au dessus du pont de Pau. Le plus ancien voyage connu du Pic
du Midi de Pau, est celui de M. de Candale, sous le règne d'Henri
IV, mais il ne parvint pas au sommet: on peut en voir les détails
dans les Mémoires de la vie de Jacques-Auguste de Thou, Conseiller
d'État, président à mortier du Parlement de Paris.
Pages 80-81-82, imprimé à Amsterdam, 1713. [texte/back]
2- M. Delfau peut, à juste titre, réclamer
l'honneur d'avoir réussi le premier dans cette tentative périlleuse
; je me plais à lui rendre cet hommage. Il ne m'a laissé
que le faible mérite de suivre le bel exemple qu'il a donné.
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3-Je ne puis douter, d'après les détails
que m'a donnés Jacques Clabères avant mon ascension, qu'il
avait pu s'élever sur la croupe du Pic, mais qu'il n'a jamais
essayé d'arriver au sommet. [texte/back]
4- L'Izard des Pyrénées n'est
autre chose que le chamois des Alpes; il est seulement plus petit, sa
couleur est aussi moins fauve. [texte/back]
5- M. Delfau a remarqué ces deux précipices
dont l'un aboutit aux sources du gave d'Oloron, et il les a peints avec
beaucoup de vérité, ainsi que le passage qui les sépare.
Mais son évaluation me parait exagérée, lorsqu'il
leur donne onze cent toises de profondeur. Je crois qu'elle doit être
réduite à huit cent toises environ. [texte/back]
6- Longtemps on a cru ce sommet calcaire.
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7- Nous perdîmes de vue, dans la descente,
les trois petits bergers qui nous avaient accompagnés au sommet.
Nous les retrouvâmes ensuite à leurs cabanes, où
ils étaient arrivés une demi-heure avant nous. On ne peut
se faire une idée de leur prodigieuse agilité. [texte/back]
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