dieu, mon cher
amy, je pars de cette ville
Qu'on me rompe les os si je revois Paris
Quoy ! je demeurerois en ce maudit pays,
Où la vertu n'a point d'asile,
Et qui ne se trouve fertile
Qu'en putins, qu'en bigots et qu'en malins esprits !
Le sejour m'en seroit funeste,
Je m'en vais chercher d'autres gens,
De peur qu'avec ces habitans,
Le peu de vertu qui me reste
Ne m'abandonne en peu de temps.
Mais enfin où faut-il que j'aille ?
Les jesuites sont en tous lieux ;
Il n'est plus d'endroits sous les cieux
Exemts d'une telle canaille ;
Cette hypocrite nation,
Sous ombre de devotion,
A toujours de secrettes trames,
Et ces maîtres archibigots,
Feignant de convertir les ames,
Attrapent quantité de sots.
Auroient-ils esté dans la Chine,
Dans le Perou dans le Japon,
S'ils n'avoient pas connu que ce pays est bon
Pour faire rouler leur cuisine ;
Ces illustres marchands de bled
N'ont pas l'esprit assez troublé
Pour demeurer en mauvais giste ;
Et, si ces lieux ne payoient pas
Leurs sermons et leur eau benite,
Ils changeroient bien de climats.
Valent-ils mieux dans la Sorbonne ?
Non - car on m'a dit qu'en ce lieu
Le pape, vicaire de Dieu,
N'y peut faire sa cause bonne.
Pas un ne veut signer l'infaillibilité,
De peur de se faire une affaire ;
Et l'on estime mieux souscrire au formulaire (1)
Que les docteurs ont arresté
Que courir risque de deplaire
À messieurs de la Faculté.
Dedans ce lieu ce n'est que brigue ;
Les docteurs sont toujours de différents avis,
Et ceux qui sont les plus suivis
Sont ceux qui font le plus d'intrigue.
Le seul caprice y règle tout ;
L'un blâme ce que l'autre absout ;
Chacun, suivant son sens, règle le Paradis,
Et fait des loix en nôtre Eglise,
Comme le roi fait des edits.
Dans ce maudit tems on retranche
La fête de beaucoup de saints,
Et c'est justement que je crains
Qu'on ne reforme le dimanche.
Pourquoy jadis festions-nous saint Thomas (2)
Ou pourquoy maintenant ne le festons-nous pas ?
D'où vient ce changement etrange ?
En voicy la raison: aujourd'huy le clergé
Pretend qu'un apôtre et qu'un ange
Ne peuvent rien sans son congé.
Les saints, jaloux les uns des autres,
Vont avoir un procès bien grand :
Un evangeliste pretend
Valoir autant que les apôtres (3) ;
Saint Marc ne peut souffrir ces abus inouïs,
I1 veut estre festé comme on feste saint Louis ;
Le bon saint Joseph paroît triste
Du tort qu'on luy fait aujourd'hui
Et soutient que saint Jean-Baptiste,
Dont on feste le jour, ne vaut pas mieux que luy.
Eh quoy ! disent les Innocens (4),
Quoy ! souffrirons-nous que l'eglise,
Qui nous chôma toujours, aujourd'huy nous meprise ?
Ne valons-nous pas bien autant que saint Laurent?
S'il repandit son sang, nous versâmes le nôtre,
Nous avons tous souffert autant que pas un autre ;
Pourquoy n'aurons-nous plus d'encens ?
Ne seroit-ce point que la France,
Qui ne vit plus dans l'innocence,
Ne peut souffrir les Innocens ?
Tous les patrons de confrerie
Ont fait un bon serment entr'eux
De n'exaucer jamais nos voeux,
Puisque leur teste est abolie.
Si saint Roch une fois nous oste son secours (5),
Que de maux croîtront tous les jours!
Et, si sainte Reine se pique,
Je prevois que Martot, Gayan et d'Alencé (6)
Auront cent fois plus de pratique
Qu'ils n'en avoient au temps passé.
Que de galeux, que de teigneux.,
Que de verole et que de peste!
La reforme des saints nous sera trop funeste
Si nous ne faisons pas notre paix avec eux.
Si l'on veut retrancher les festes de l'année,
Qu'on oste celles-là dont la veille est jeunée,
Je consens volontiers à leur retranchement :
Qu'on oste saint André, mais non pas sainte Reyne,
Car nous avons trop frequemment
Besoin de l'eau de sa fontaine (7).
Pour moy, qui crains trop la colère
Des saints irritez contre nous,
Je vais chercher une autre terre
Pour m'exemter de leur courroux.
Adieu, je sors de cette ville.
Qu'on me rompe les os si je revois Paris!
Quoy ! je demeurerois en ce maudit pays,
Où la vertu n'a point d'asile,
Et qui ne se trouve fertile
Qu'en putains, qu'en bigots et qu'en malins esprits
Le sejour m'en seroit funeste ;
Je m'en vais chercher d'autres gens,
De peur qu'avec ces habitans
Le peu de vertu qui me reste
Ne m'abandonne en peu de temps (8).
Introduction
et notes
Nous trouvons cette pièce dans le Chansonnier Maurepas
(t. 3, p. 45), où elle a pour titre : La difformité
de la reforme des saints. Elle existe avec celui qu'elle porte
ici dans le recueil intitulé : Le tableau de la vie el du
gouvernement de messieurs les cardinaux Richelieu el Mazarin el de
Monsieur Colbert, représenté en diverses satyres et
poésie ingenieuses .... (Cologne, P. Marteau, 1694, in-12,
P. 214-218). La pièce qui précède celle-là,
dans le même recueil, traite aussi de ce sujet. Elle a pour
titre : Lettre en vers libres à un amy, en 1666,
sur le retranchement des festes par M. Perefixe, archevêque
de Paris. Il y est dit à la fin : "L'auteur de ce poème
n'est pas M. Le Petit, car il estoit dejà brûlé
en ce temps-là. " Et on lit en note, à la page 203 :
"C'estoit M. Colbert qui pressoit cette affaire pour faire travailler
les gens." Pareille mesure ne nous étonne pas de la part du
laborieux ministre. Louis XIV, pourtant, sattribue tout l'honneur
de celle-ci dans ses Memoires (Paris, 1806, in-8, 1re partie,
p. 277-278) : "J'observai, dit-il, que le grand nombre des
festes, qui s'etoient de temps en temps augmentées dans l'Eglise,
faisait un prejudice considérable aux ouvriers, non seulement
en ce qu'ils ne gagnoient rien ces jours-là, mais en ce qu'ils
y despensoient souvent plus qu'ils ne gagnoient dans tous les autres.
Car enfin c'était une chose manifeste que ces jours, lesquels,
suivant l'intention de ceux qui les ont établis, auroient dû
être employés en prières et en actions pieuses,
ne servaient plus aux gens de cette qualité que d'une occasion
de debauche, dans laquelle ils consumaient incessamment tout le fruit
de leur travail. C'est pourquoi je crus qu'il etoit ensemble et du
bien des particuliers, et de l'avantage du publie, et du service de
Dieu même, d'en diminuer le nombre autant qu'il se pourroit
; et, faisant entendre ma pensée à l'archevêque
de Paris, je l'excitai, comme pasteur de la capitale de mon royaume,
à donner en cela l'exemple à ses confrères de
ce qu'il croiroit pouvoir être fait, ce qui fut par lui bientôt
après executé de la manière que je l'avois jugé
raisonnable."
1. Il datait de l'année précédente.
2. Des stances sur le même sujet, qui se trouvent dans
le Recueil de Maurepas (t. 3, p. 17-20), parlent aussi de la
suppression de la fête de saint Thomas. Ce patron, dont le nom
étoit écrit en rouge sur les almanachs, comme celui
de tous les saints dont on chômoit la fête, ne fut plus
à l'avenir écrit qu'en noir ; ce qui fait dire:
Dans cette commune disgrace
Tout le monde plaint saint Thomas
Et nous le verrons, quoi qu'il fasse,
En changer de couleur sur tous les almanachs.
3. Les fêtes d'évangélistes avoient en
effet été supprimées. On lit dans les stances
que je viens de citer
Saint Luc, fidèle evangeliste,
Saint Marc, faisant même meute,
Ne se verront plus sur la liste.
4. La fête des Innocents, qui se célébroit
le 28 décembre, avoit aussi été retranchée.
Nous lisons dans les stances déjà citées, où
il est fait allusion à la suppression des auvents de maisons,
et "qui, avançant trop dans les rues, obscurcissoient
le dedans des boutiques et empêchoient, la nuit, la clarté
des lanternes ", suppression qui fut ordonnée en même
temps que le retranchement des fêtes :
Les festes supprimer, retrancher les auvents
Est une police nouvelle ;
Pour moy, je la tiens criminelle,
D'attaquer sans pitié les petits innocents.
5. Nous lisons dans les stances citées tout
à l'heure .
Du bienheureux
monsieur saint Roch,
Qui nous preservoit de la peste,
On a pendu la teste au croc,
Et, cet esté dernier, il joua de son reste.
6. Célèbres médecins de l'époque.
Le dernier eut un fils qui se ruina en expériences de physique.
C'est ce fils que Boileau nomme dans sa 10e satire, v. 4,33 :
D'un nouveau microscope on doit, en sa présence,
Tantôt, chez d'Alenci, faire l'expérience.
Dans le Chansonnier Maurepas, au lieu des deux premiers qui
sont nommés ici, l'on trouve Coladon et Lelarge.
7. Cette fontaine se trouve dans l'Auxois, au bourg d'Alise,
qu'on appelle aussi Sainte-Reine, à cause de la sainte
qui y fut martyrisée, et aux mérites de laquelle étoit
attribuée la vertu de cette eau minérale, très
efficace contre toute espèce de galle.
8. Ce retranchement des fêtes fut une mesure qui n'eut
pas long-temps son exécution, ou qui ne diminua pas assez le
nombre des chômages. En 1678, quand parut le se livre de ses
fables, La Fontaine pouvoit encore faire dire par le savetier au financier
:
. . . . . Le mal est que toujours
(Et sans cela nos gains seroient assez honnêtes)
Le mal est que dans l'au s'entremêlent des jours
Qu'il faut chômer ; on nous ruine en fêtes
L'une fait tort à l'autre, et monsieur le curé
De quelque nouveau saint charge toujours son prône.
Voltaire, devenu agriculteur, voulut aussi restituer au travail ces
jours voués à l'oisiveté et à la débauche
sous prétexte de religion. Il en écrivit nettement au
pape. "Ma destinée, lit-on dans sa lettre du 21 juin
1661 à d'Argental, est de bafouer Rome et de la faire servir
à mes petites volontés... Je fais donc une belle requête
au Saint-Père, je demande.... une belle bulle pour moi tout
seul, portantpermission de cultiver la terre les jours de fête
sans être damné. Mon évêque est un sot qui
n'a pas voulu donner au petit pays de Gex la permission que je demande,
et cette abominable coutume de s'enivrer en l'honneur dos saints au
lieu de labourer subsiste encore dans bien des diocèses. Le
roi devroit, je ne dis pas permettre les travaux champêtres
ces jours-là, mais les ordonner. C'est un reste de notre ancienne
barbarie de laisser cette grande partie de l'économie de l'Etat
entre les mains des prêtres. M. de Courteilles vient de faire
une belle action en fesant rendre un arrêt du conseil pour le
desséchement des marais. Il devrait bien en rendre un qui ordonnât
aux sujets du roi de faire croître du blé le jour de
saint Simon et de saint Jude tout comme un autre jour. Nous sommes
la fable et la risée des nations étrangères,
sur terre et sur mer ; les paysans du canton de Berne, mes voisins,
se moquent de moi, qui ne puis labourer mon champ que trois fois,
tandis qu'ils labourent quatre fois le leur. Je rougis de m'adresser
à un évêque de Rome, et non pas à un ministre
de France, pour faire le bien de l'État. "
Edouard Fournier, 1856
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