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Le May de Paris
1620, In-8
Au Roy

Recalme ton lustre, ô Paris!
Cesse tes pleurs et tes orages,
Ton roy, ton vrai soleil, te rend les adventages
Qui t'ont donné le prix (1).

A bon droict lit sechois d'ennuy,
Perdant les rays de sa lumière,
Car des bords du Levant jusqu'à l'autre barrière
Il n'est rien tel que luy.

Depuis Clovis tu n'eus jamais
Un roy si comblé de merveille,
Ny pour régir ton cours une vertu pareille
Ne luyra désormais.

La douceur et la probité,
L'amour et la recognoissance,
La valeur et l'honneur avecques la prudence,
Ornent sa Majesté.

C'est la vray ame de Henry,
De qui tu fus la bien-aymée,
Un phoenix qui renaist de la cendre animée
D'un père tant chery.

Père qui te sceut delivrer
Du frein de la guerre homicide,
Et te fit (se baignant dans les gloires d'Alcide)
Ton bon-heur recouvrer.

Que donc tu reprennes vigueur ;
Que tes ennuys gaignent la fuitte
Et que maints doux plaisirs d'une meilleure suitte
Relogent dans ton coeur.

Belle, que tes cheveux espars
R'aquèrent leur grace et leurs charmes,
Que tes yeux languissants tesmoignent, pour des larmes,
Des ris de toutes parts.

Que ce teint de royales fleurs,
Où la tempeste fait ombrage,
Comme devant reinette, en brisant son nuage,
Ses premières couleurs.

Relève ce front et ce port,
Que mesmes l'estranger admire,
Puis que ton grand soleil heureusement aspire
A te donner confort.

Aussi bien, reyne des citez,
Il n'est chose qui n'embellisse
Ores que le printemps dans les campagnes glisse
Mille diversitez.

La terre, que l'hyver obscur
Transissoit de neige couverte,
Des-ombrage son teint, reprend sa robbe verte,
Et l'air redevient pur.

Tout brille, tout est embasmé,
Dans le sein des molles prairies,
De parfums odorans, comme de pierreries
Largement parsemé.

De branche en branche les oyseaux
Leurs chansonnettes apparient ;
Les ruisselets d'argent aux zephires marient
Les concerts de leurs eaux.

Et l'amour, pour entretenir
Les vives escences du monde,
Voltige en s'esbatant d'une aisle vagabonde,
Faisant tout r'ajeunir.

En ce temps, parmy tant de feux
Que la nuict range sur nos testes, [pestes,
Les Gemeaux, qui sur l'onde accroissent les terri
Ont leur règne tous deux.

Mais pour les faveurs dont ce roy
T'honore d'une ame benigne,
Que luy veux-tu donner, ô Paris! qui soit digne
De luy comme de toy?

Voicy le plus beau mois de tous,
Mois gaillard, où d'accoustumance
On fait present d'un may (2), quand il reprend naissance
Par un mouvement doux.

Ha ! que luy presenterois-tu,
Quel arbre on quelle fleur d'eslite,
Si les plus excellents ont voué leur merite
A sa digne vertu ?

Sa main toute de palmes rompt,
Et pour une tierce couronne
Maint Lortis de laurier plainement environne
Ses temples (3) et son front.

L'oeillet est compris en son teint,
Le beau lys en son armoirie,
Et sa lèvre, imitant une jeune prairie,
De la rose se peint.

Arrière tous ces vains presens,
Qu'ailleurs s'anime leur victoire ;
Ils manquent pour un roy si renommé de gloire
En de si nouveaux ans.

Le present, le may qu'il luy faut,
D'une vraye recognoissance,
Est l'arbre de l'amour et de l'obéissance,
A qui rien ne deffaut.

C'est la vive fleur de renom
Que le devoir a mis en estre,
Et la fidelité que l'on void apparoistre
En l'esclat de ton nom.

Sus donc, astre de l'univers,
En qui tant de bien se descouvre,
Porte luy maintenant jusqu'au chasteau du Louvre
Sur l'aisle de mes vers.

1. À la fin d'avril 1620, Louis XIII s'étoit mis en route pour aller jusqu'à Tours se réconcilier avec sa mère. A peine étoit-il à Orléans, que Luynes, qui le conduisoit, changea de pensée et le ramena brusquement à Paris ; de là ce compliment poétique. Le départ avoit du reste soulevé bien des plaintes. V. notre édition des Caquets de l’Accouchée, p. 57, note 2
2. C'étoit en effet l'usage, mais il commençoit à se perdre alors. An XVe siècle, personne n'y manquoit, pas un amant surtout. On lit dans le Sermon joyeux auquel est contenu tous les maux que l'homme a en mariage, nouvellement composé à Paris.
« Quand vient le premier jour de may
A son huys fault planter le may,
Et le premier jour de l'année
Faut-il qu'elle soit estrennée. »
Cette coutume galante avoit fait créer le joli verbe émayoler, qui se trouve dans ces vers de Froissard
« Pour ce vous veux, Madame, émayoler,
En lieu de may, d'un loyal coeur que j'ay. »
3. Pour tempes. V. La Faiseuse de Mouches, note 4.

 

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