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Je vous supplie d'escouter le ramage
D'un jeune oiseau que l'on a mis en cage
Bien plus estroit qu'il n'estoit paravant
Quand il voloit par l'air au gré du vent.
Sur l'aubespin, tout herissé de poinctes
Durant la nuict souspiroit ces complainctes ;
Puis sur un sault (2), embrazé de l'amour,
Il saluoit la belle aube du jour ;
Là il baignoit le tendre bout de l'aisle
Pour rafraischir sa chaleur naturelle ;
Puis sur le soir, en tranquille repos ,
Prenoit congé du soleil jà renclos ;
Tout luy estoit agreable à delivre ,
Et maintenant il se fasche de vivre.
Quand il se void d'autruy et non plus sien,
La seule mort seroit son plus grand bien ;
Ayant perdu une si douce vie,
De plus chanter il a perdu l'envie.
Un rossignol perd volontiers ses chants,
Ayant perdu la liberté des champs ;
Il ne fait plus que languir en servage,
Se tourmentant dans l'enclos de sa cage.
Mais tout ce dont (3) il est plus estonné,
C'est que je suis l'oiseau emprisonné.
Or, je vous prie, oyez un peu ma prise ;
Amoindrissez le soing qui vous maistrise
Pour escouter comment je fus choisi
Entre un milier et hardiment saisi (4).
Cinq gros sergens, aux vineuses roupies,
Enluminez à force de rosties (5),
Ouvrant les yeux comme de gros hibous,
Sur le collet il me sautèrent tous.
L'un me saisit durement par la manche,
L'autre à la main et l'autre par la hanche,
L'autre au manteau, et l'autre, enbesongné (6)
Disoit m'avoir le premier empoigné.
J'en avois deux me menant sous l'aisselle,
Comme un amant mène une demoiselle,
Cinq au derrière et quatre à mon devant,
Pour m'empescher de trop fendre le vent.
Les uns devant me faisoient faire place,
Aux deux costez serrant la populace.
Un gros ribault mon espée m'osta
Et la bailla à un, qui l'emporta ;
Autour de moy ses gens estoient en cerne.
Mes yeux luisoient ainsi qu'une lanterne
Non point du vin que j'avois entonné,
Car je n'avois encore desjeuné.
De tous costez tirassé par ces piffres,
Un affecté me monstroit quelques chiffres
Et un papier qui parloit de prison,
Contre lequel je disois ma raison :
« Hé ! menez moy, pour mon dernier refuge,
Disois je à eux, un peu devant le juge. »
Mais, quelque droit que je leur sçeus prescher,
Jamais aucun ne me voulut lascher ;
Chacun taschoit d'en emporter sa pièce
Le plus petit me tenoit à la fesse,
Et le plus grand, faisant du bon valet,
Tout furieux me tenoit au colet.
De çà de là tiré par leur main croche,
J'allois branslant comme une grosse cloche ;
Comme un corps sainct ils m'eslevoient en l'air,
Ne me donnant le loisir de parler ;
De la façon ma personne conduite
Tiroit après des gens une grand suitte ;
De la rhumeur je fus si estourdy
Que je n'ouy carillonner midy.
Je fus posé par ses fauces canailles
En sentinelle entre quatre murailles,
Où pour certain vous me pourrez trouver,
Faute qu'aucun ne m'en veut relever.
Le seul regret qui le plus m'accompagne,
C'est de n'avoir plus large la campagne.
Je crie assez pour sortir de ce four,
Mais à ma voix tout est là dedans sourd.
Si tout ainsi sourde m'est vostre oreille,
Si vostre veue à me garder ne veille
Et si non plus vous n'avez de moy soing ,
Je n'iray pas à dix mille lieues loing.
Ma garde là jamais ne m'abandonne,
Tant elle a crainte et peur de ma personne ;
Tous mes valets, mes huissiers, mes portiers,
L'ont plus de moy que moy d'eux volontiers.
Pour y aller il ne faut qu'un quart d'heure,
Mais à venir, Sire , je vous asseure
Que si fâcheux et long est le chemin
Qu'on est plus tost à la mort qu'à la fin ;
Il en est peu qui ait de la contrée
Si tost trouvé l'issue comme l'entrée,
Et seroit on cent fois plus test sorty
Du labyrinthe que Dedalle a basty.
Je n'en tien pas une meilleure mine ;
En vain je pense et en vain je rhumine
Tous les moyens de changer de logis,
Je ne le puis, si je n'ay des amis.
Où estes vous, ô vertueuse bande ?
Sur mon tombeau respandez vostre offrande,
Vostre bienfaict me peut rendre allegé
Du purgatoire où je me voy plongé ;
Venez à moy comme vertueux anges
Ne retirer des cavernes estranges
Pour me remettre où je vivois jadis
Dans les cartiers du mondain paradis.
Si à ma voix vostre oreille est muette,
Trop arrosez de la liqueur de Lèthe (7),
Vostre sourdesse et vostre long habit (8)
Me feront, las! jouer à l'esbahy ;
J'ay trop longtemps joué ce personnage.
Je m'en rapporte à mon pasle visage ;
Vostre pinceau, liberal et doré,
Le rende tost vermeil et colloré.
Lors moy, oyseau qui eut l'aisle couppée,
Et qui fut prins si bien à la pipée,
Estant sorty par vous de mon enclos,
Parmy les bois chantera vostre los.Fin. 1. J'ai donné dans une note antérieure la description bibliographique de cette pièce. Je remarquerai seulement les différences offertes dans les initiales par le premier titre et par celui placé au commencement de la pièce. Faut-il supposer le même nom sous une forme différente envoyant dans le premier : L'emprisonnement du comte (ou du capitaine, ou du chevalier) de.... et dans le second : L'emprisonnement de M. le comte C .... ? Cela est possible. En tout cas , il ne faut pas penser à Chalais, qui étoit prince, et le peu de bonne foi du Salve Regina ne permet pas de croire celle-ci beaucoup plus historique.
2. C'est évidemment un saule que l'auteur a voulu dire.
3. Imp. : donc.
4. Le prologue, dans sa rhétorique convenue, n'avoit rien que d'ordinaire. L'allure devient ici plus vive et tourne à un tableau qui ne manque ni d'esprit ni de vivacité. Il y a là comme un souvenir de l'épître de Marot à François Ier sur un sujet analogue ; on y trouvera même l'imitation du passage :
Pour faire court, je ne sçeus tant prescher
Que ces paillars me vousissent lascher.
Sur mes deux bras ils ont la main posée
Et m'ont mené ainsi qu'une espousée,
Non pas ainsi, mais plus roide un petit.
(Epître XXVI, édit. Lenglet Dufresnoy, La Haye, 1741, in-4, t. 1, p. 444.)
5. Est-il besoin de dire que c'étoient des rôties au vin ?
6. Affairé, faisant l'important, la mouche du coche, en un mot.
7. De l'eau du Léthé.
8. Faut-il lire oubli ?
Edouard Fournier, 1857
NOTE : Le catalogue de la BNF attribue ce recueil (Le Purgatoire des prisonniers, envoyé au Roy. (Par P. Boyer.) - L'emprisonnement D. C. D. présenté au Roy, s.l.n.d., in-8 ° , 16 p.) à Philbert Boyer, procureur au Parlement de Paris
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