Colin, je veux t'entretenir
De l'aller et du revenir.
O l'estrange metamorphose,
De voir aujourd'hui toute chose
Reprendre son cours à l'envers !
Que dit-on du sieur de Nevers (2) ?
Jouë-il bien son personnage ?
On le tient pour homme fort sage
A former une bonne paix.
J'ai peur qu'on ne verra jamais
La pauvre France desbrouillée ;
C'est une trame mal filée
Quand la toille escorche le dos
Quelqu'un sentira jusqu'aux os
Le goust de la souppe à l'hysope
Disoit ainsi le bon Esope ;
Plus on a plus on veut avoir.
Mais, compere, retournons voir
Celuy qui est le plus marri.
La pauvre duché de Berry
Je plains d'avoir perdu son maistre
(3).
Plusieurs disent que C'est un traistre
Qui a causé ce desarroy.
C'est grand pitié de voir le Roy
Prisonnier dedans son Paris :
Tel pense prendre qui est pris.
Mais gardons à la fin le change.
Ceste nouvelle est bien estrange ,
Le Pape n'a plus de crédit;
Le nonce nous l'avoit bien dit
Qu'il y falloit mettre bon ordre
Il faut premièrement destordre
Le fil qui va se renouër ;
Il est mal aisé à trouver,
Deux partis égaux en la France;
Il faut du secours de Florence
Pour asseurer ce beau marquis.
Caen ne s'en estoit point enquis,
Et ferma l'huis de derriere (4) ;
C'est une mauvaise visiere
Qu'au masculini generis.
Et quoy ? nostre belle Cypris
Sera elle plus carressée ?
Ce sont de belles embrassées
Que des escus à millions.
Ha ! les habilles champions
Qui ont partagé au butin !
C'est au faux-bourg de Saint-Germain
Qu'on semoit l'argent par la rue (5)
;
Le secrétaire (6) eut la venue
(7)
Aussi bien que le Florentin
Il est encore bon mastin,
S'il estoit guery de sa goutte.
Le Parlement ne void plus goutte
A bien soutenir un estat;
On est sur le poinct du debat
Pour tirer l'oyseau de la cage
C'est un mal pire que la rage
De voir son ennemy plus fort.
Si les cerfs viennent à l'effort,
On verra de belles curées ;
Elles ne sont pas de durées,
Les violentes passions.
Plusieurs visent aux pensions,
Qui vivent sur la défiance.
De Sully briguer les finances,
C'est un morceau bien dangereux.
On dit qu'il n'y en a que deux
Qui tiennent le dez à Paris.
Mais parle, Colin, tu te ris,
Il n'y a pas pour tout risée.
Le sieur d'Espernon fait trophée
De sa mitene avant l'hyver (8) ;
Il a Jarnac pour le couvert
Sur le passage d'Angolesmes,
Que les huguenots seront blesmes
S'il attrape les Rochelois ;
Il craint que le party anglois
Donne secours à l'hugenotte.
Souvant, un pied dedans la botte
On est contraint de s'enfuir ;
Les zelez ont un grand desir
De voir une féconde Flandre (9).
A ce coup on peut bien apprendre
A gouverner une maison.
Pour moy je cognois la saison
Fasse qui voudra du contraire ;
Un bon veneur voit au repaire
La route que prendra le cerf.
Puisqu'il faut jouer à tout sert,
Le jeu du sang aura sa guise (10).
Mais on dit que Monsieur de Guise
Sera enfin le general (11) ;
Et son frere le cardinal
A-il pour vray quitté la robe (12)
?
Monsieur de Bouillon (13) se
desrobe
Tousjours le premier de la cour ;
S'il eust tardé encore un jour,
On eut bien veu du peuple en Grève.
Il s'en faut peu qu'elle ne crève
La gouvernante du palais (14).
Où estes-vous, braves Harlais?
Pleurez vostre mère nourrice
Vous estes sur le precipice ,
Et tombez aussi bien que nous.
Ne dormez plus, reveillez-vous
Qu'un seul roy nous soit asseurance.
Conchine regarde Florance
D'un oeil tout plain de desplaisir
Je croy qu'il auroit bien desir
Que Perronne fust sa retraitte,
Longue-Ville fait la chouette
Et dort moins le jour que la nuict
(15);
Il empesche ce qui le nuit ;
C'est un prince plein de courage.
Le comte d'Auvergne fait rage,
Mais plus de bruit que de l'effet (16)
Monsieur de Mayenne eust bien fait
De retourner dessus ses pas.
Le vieux Renard craind les appas
Et la furie des Caillette:
Un huissier, avec sa baguette,
Arreste vite un financier,
Ce fut un trait de son mestier
De tirer tout droit à Soissons
(17),
Morel remarque les saisons;
Mais tout ne vient que par rotine :
Qui entend la langue latine
Vaincra tousjours -un paysan.
Moissay n'est-il plus partisant ?
Se retire-il sur la porte?
La mesche est trop descouverte
On demande raison de tout ;
Mais patiantons jusqu'au bout;
Faut voir jouer la tragedie;
C'est une douce melodie
Qu'ouyr le chant du rossignol.
Allons un peu à l'Espagnol,
Voir s'il veut rendre la Navarre.
Ce bazané est trop bizarre
Pour faire alliance aux François,
Si on m'en eust donné le choix ,
Louys seroit plus à son aise.
On le rendra plus chaut que braise,
Si un jour je suis en credit.
Maurgart nous l'avoit bien predit,
Mais c'estoit tout par equivoque.
On dit que Roche-Fort (18) se mocque
De tenir fort dedans Chinon;
Il est assez bon champion
Pour y bien disputer sa vie.
Souvray en enrage d'anvie ,
Et luy veut troubler son repos.
Bonnivet est bien plus dispos (19)
Qu'il n' estoit dedans la Bastille.
Il est aux à bois, il petille,
Qu'il ne charge ce vieux grison
On luy dit qu'il n'est pas saison
De faire une longue poursuitte :
Au printemps commence la luitte
Du toreau avec son pareil;
D'un long somme vient le reveil ,
S'ensuit la fin de toute chose.
Monsieur d'Aubigny (20) se dispose
A garder son gouvernement ;
C'est se comporter sagement
De bien defendre son party.
Vous porterez le dementy
Pansionnaire de créance.
Tant que l'on verra la France
Du fer rien ne profitera,
Un bon catolique mourra
Pour maintenir son evesché.
On fait estat du bien presché,
C'est une chose fort requise ;
Mais souvent le loup se deguise
Pour mieux attraper la brebis,
Il faut avoir de beaux habits,
Un beau collet, une rotonde (21),
Une fraise qui soit bien ronde ,
Contrefaire le courtisan,
Estre enflé comme un partisan ,
Ne saluer jamais personne,
Au conseil faire le prud'homme,
Oppiner tousjours de travers,
Soustenir le droit du pervers
C'est le fruict d'un pansionnaire
Mais qu'as-tu apris de Sancerre?
Qui aura le gouvernement?
Plusieurs ont bien perdu leur temps
De s'estre trouvé à Paris ;
Tu te mocques et je me ris
De ces attrapeurs de Babet.
Je croy quo le baron Du Blet
Sera gouverneur de Sancerre.
Le fort Sainct-Denis est par terre
A la veüe d'un docte soldat.
Beaucoup desirent d'avoir part
En l'argent qui ne coutte rien.
Plusieurs François ne vaillent rien
Que pour troubler nostre repos.
Ils seront piquez jusqu'au os,
Ceux qui joüent les deux personnages,
S'il y avoit des hommes sages,
Qui creussent à peu près mon advis
Je garderois, à mon advis,
Les chèvres de broutter les bois,
Saris mettre mes chiens aux abbois,
Et ne prendre rien par derrière.
Or, Colin, retournons arrière,
Et gardons bien d'estre surpris.
Voilà tout ce que j'ay appris.
NOTES
*La BnF
possède ce texte (in-16 cartonné), mais ne
mentionne ni date ni auteur.
1. Cette pièce, comme
on va le voir, est des derniers temps de la puissance du
maréchal d'Ancre.
2. Le duc de Nevers avoit
commencé d'armer en septembre 1616. Depuis l'em
prison nement du prince de Condé il étoit un
des chefs du parti contre Concini. Sa femme, qui tenoit dans
le Nivernois même, le secondoit avec
énergie.
3. Condé avoit le
gouvernement de Berry; on le lui fit rendre, et il fut
donné au maréchal de Montigny. Il fallut du
canon pour réduire la tour de Bourges, qui
résistoit.
4. Le maréchal
d'Ancre, craignant pour sa vie, s'étoit retiré
dans son gouvernement de Normandie. C'est la ville de Caen
qu'il avoit choisie pour refuge. Il y fut assez mal
reçu et n'y resta pas longtemps.
5. Allusion au pillage de
l'hôtel du maréchal d'Ancre. Cet
hôtel, devenu plus tard l'hôtel des ambassadeurs
extraordinaires, puis l'hôtel de Nivernois , et enfin
une caserne de gardes de Paris, étoit situé
rue de Tournon, assez près, par conséquent, de
l'hôtel de Condé, dont l'Odéon tient la
place. Quand le prince eut été
arrêté, il y eut grande rumeur parmi les gens
de sa maison et un échange continuel de menaces entre
eux et ceux du maréchal d'Ancre. L'effet suivit
bientôt. Un matin, tous les gens du prince
assaillirent l'hôtel d'Ancre ; les maçons qui
travailloient au palais de la reine mère (le
Luxembourg) se mirent de la partie, et la maison du ministre
fut littéralement prise d'assaut et livrée au
pillage.
6. Raphaël Corbinelli.
7. La venelle, la peur.
8. C'est-à-dire se montre tout
fier de sêtre donné un refuge avant le danger.
Il s'étoit, cri effet, retiré en Saintonge,
d'où il menaçoit le parti du
maréchal.
9. Comme la Flandre étoit
déjà un refuge pour les faillis, on
disoit faire Flandre dans le sens de s'enfuir;
et Flandre dans
celui de fuite. De là aussi le mot flandrin
pour tout homme
élancé, bon à la course.
10. Equivoque horrible sur le jeu du
cent (le piquet) et le jeu du sang, l'assassinat où,
de temps de là, Vitry fit gagner la partie à
Louis XIII contre Concini.
11. Il tenoit pour le roi ; ses
troupes avoient eu déjà quelques rencontres
avec celles de Condé.
12. Henri de Lorraine resta
cardinal. Son humeur belliqueuse et ses façons
mondaines avoient dû faire faire penser ce qu'on dit
ici.
13. Le duc de Bouillon ,
après avoir tenté de soulever parmi le peuple
de Paris une révolte dont
l'échauffourée de l'hôtel d'Ancre avoit
été l'unique résultat, s'étoit
enfermé dans Soissons avec M. de Mayenne.
14. La Cour du Parlement.
15. Le duc de Longueville, en
enlevant le gouvernement de Péronne à Concini,
s'étoit rendu très populaire.
16. Le comte d'Auvergne,
bâtard de Charles IX, qui étoit à la
Bastille depuis que Henri IV l'y avoit fait enfermer, avoit
été rendu à la liberté par
Concini, afin de pouvoir être opposé aux
mécontents. Depuis son entrée en campagne, il
avoit, il est vrai, fait plus de bruit que de besogne. Le
duc de Mayenne, à l'approche du comte d'Auvergne,
s'étoit, je l'ai dit, enfermé dans Soissons,
où il soutint vigoureusement le siège,
jusqu'à ce que la nouvelle de la mort de Concini le
fit résoudre à rendre la place au roi.
17. Il était des plus
zélés pour le parti de Condé.
18. Souvray finit enfin par
forcer Chinon et par l'enlever à Rochefort.
19. Henri de Gouffier, marquis de
Bonnivet, né en 1586, mort en 1645.
20. Edme Stuart, seigneur d'Aubigny,
mort en 1624.
21. Collet empesé,
monté sur du carton, que les hommes du bel air
portoient à cette époque. Il en est
parlé dans les Satires de Regnier et dans les Lettres
de Voiture.
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