| Poésie | Page d'accueil. Home page | Adhésion

 Le mérite des femmes, An IX*

Juvénal, dans ses vers digne émule d'Horace,
Despréaux, qui tous deux les rendit au Parnasse,
Coutre un sexe, paré de vertus et d'attraits,
Du carquois satirique ont épuisé les traits.
De ces grands écrivains je marche loin encore ;
Mais j'ose, défenseur d'un sexe que j'honore,
Opposant son pouvoir à leur inimitié,
Célébrer des humains la plus belle moitié.

Lorsqu'un Dieu, du chaos où dormoient tous les mondes,
Eut appelé les cieux, et la terre, et les ondes,
Eut élevé les monts, étendu les guérets,
De leurs panaches verds ombragé les forêts,
Et dans l'homme, enfanté par un plus grand miracle,
Eut fait le spectateur de ce nouveau spectacle,
Pour son dernier ouvrage il créa la Beauté.
On sent qu'à ce chef-d'oeuvre il doit s'être arrêté.
Eh! qu'auroit fait de mieux sa suprême puissance ?
Ce front pur et céleste oit rougit l'innocence,
Cette bouche, cet oeil, qui troublent tous les coeurs,
L'une par un sourire, et l'autre par des pleurs,
Ces cheveux se jouant en boucles ondoyantes,
Ce sein voluptueux, ces formes attrayantes,
Ce tissu transparent, dont un sang vif et pur
Court nuancer l'albâtre en longs filets d'azur ;
Sans doute tant d'appas suffisoient pour séduire :
Mais, voulant prolonger et doubler son empire,
La femme sait unir à des dehors brillants
Un charme encor plus sûr, le charme des talents.

Les peindrai-je ? Aux accents d'une harpe docile
Chloris a marié sa voix pure et facile.
L'oeil tantôt sur Chloris, tantôt sur l'instrument,
Chacun goûte à longs traits ce double enchantement.
Ses accords ont cessé, son maître la remplace :
Il a plus de science, a-t-il autant de grace ?
Il enfante des sous plus pressés, plus hardis ;
Mais offre-t-il ces bras par l'amour arrondis,
Qui, s'étendant autour de la harpe savante,
L'enlacent mollement de leur chaîne vivante ?
Offre-t-il la rougeur, le touchant embarras
Qui d'un front virginal augmentent les appas
Plaît-il enfin à l'oeil comme il séduit l'oreille ?
Un bal suit le concert ; c'est une autre merveille.
Là, Lucinde, Eglé, Laure, en leur premier printemps,
Couvertes d'or, de fleurs, de tissus éclatants,
De leur taille légere agitant l'élégance,
Semblent le lis pompeux que le zéphyr balance ;
Et de leurs pas brillants le danseur même épris
Sent que Moirais pour plaire a besoin de Cypris.
Que seroient sans Cypris les fêtes du théâtre ?
Sans doute, cet objet qu'Orosmane idolâtre
Soupirant son amour, ses combats, ses malheurs,
Par le seul art des vers eût fait couler nos pleurs ;
Mais de ce rôle heureux quels que soient tous les charmes,
L'organe de Gaussin lui conquit plus de larmes.
Leur dureté punit sa moindre négligence ;
Quelle est l'ame où son coeur épanche ses tourments,
Quel appui cherche-t-il contre les châtiments ?
Sa mere ! elle lui prête une sûre défense,
Calme ses maux légers, grands chagrins de l'enfance ;
Et sensible à ses pleurs, prompte à les essayer,
Lui donne les hochets qui les font oublier.
Le rire dans l'enfance est toujours près des larmes.

Tu fuis, saison paisible, âge rempli de charmes,
Pour faire place an temps oh l'homme chaque jour
Sort de sommeil des sens, et s'éveille à l'Amour.
Déja son front se peint d'une rougeur timide ;
Dans son regard plus vif brille une flamme humide ;
Son coeur s'enfle et gémit ; de ses soupirs troublé,
Tout son sein se souleve et retombe accablé ;
Dans ses veines en feu son sang se précipite ;
Son sommeil le fatigue, et son réveil l'agite ;
Il s'élance inquiet, avide, impétueux ;
Il promene au hasard ses voeux tumultueux ;
Il poursuit, il appelle un bonheur qu'il ignore :
De qui le tiendra t-il ? c'est d'une femme encore.
Une femme, en secret lui rendant ses soupirs,
Rêveuse, s'abandonne à ses vagues desirs.
O premiere faveur d'une premiere amante!
Dès que, sur l'incarnat d'une bouche charmante,
Il a bu des baisers le nectar inconnu,
Dès qu'un autre succès, par degrés obtenu,
Va conduit dans les bras de sa belle maîtresse
De surprise en surprise, au comble de l'ivresse,
Comme un aveugle, à qui l'art rendroit la clarté,
Dans un autre univers il se croit transporté ;
Il ne se connoît plus, il palpite, il soupire ;
Il se sent étonné du charme qu'il respire ;
L'ivresse de ses sens a passé dans son coeur ;
Il nage dans un air tout chargé de bonheur.
Sa maîtresse! oh! combien sou regard la dévore!
Il la voit comme un dieu que sans cesse il adore ;
Son coeur brûloit hier, son coeur brûle aujourd'hui ;
Il ne sait s'il existe ou dans elle on dans lui.
Paroissent-ils ensemble au milieu d'une fête ?
Son oeil préoccupé ne suit que sa conquête.
Vient-il chercher, sans elle, au lever d'un beau jour,
Le doux exil des champs, lieu plus cher à l'amour,
Chaque objet la lui rend : l'éclat des dons de Flore,
C'est l'éclat de ce teint que la pudeur colore,
L'azur du firmament par l'aurore éclairé,
C'est l'azur des beaux yeux dont il est enivré ;
Le rayon du matin, c'est la douce lumiere
Qui luit si tendrement sous leur longue paupiere ;
Le murmure flatteur des limpides ruisseaux,
Le souffle des zéphyrs, le concert des oiseaux,
C'est le son de la voix qui répond à son ame ;
Tout l'univers enfin l'entretient de sa flamme.
Pour lui plus de langueurs, plus de maux, plus d'ennuis ;
L'amour remplit, enchante et ses jours et ses nuits
Il n'a qu'un seul objet qui l'occupe et l'embrase
Et son heureuse vie est une longue extase.
Cette ivresse lui donne un autre enchantement.
Il est devenu pere! O trop heureux amant!
Oh ! dans un tendre hymen, avec quel charme extrême
Tu te sens caressé par un autre toi-même!
Tu presses sur ton coeur ce gage précieux ;
Tu recherches tes traits dans ses traits gracieux.
Tu compares sur-tout et l'enfant et la mere ;
S'il t'offre son portrait, il te la rend plus chere.
Comme ton oeil ému, dès qu'il sort de tes bras,
De tous ses mouvements suit l'aimable embarras,
Et voit avec ivresse, en ta maison bruyante,
Jouer, courir, grandir ton image vivante!
Comme dans ses penchants, qu'il montre sans détour,
Tu démêles déja ce qu'il doit être un jour,
Et te plais, de son! âge oubliant la foiblesse,
À pressentir dans lui l'honneur de ta vieillesse!
Tu dois à ton épouse un destin si flatteur.

Une épouse! Ah! pour nous son aspect, sa douceur
Sait de tous les emplois soulager la fatigue.
Dès l'aube, en longs travaux l'artisan se prodigue :
Sous le fardeau, le soir, il succombe affaissé ;
Il revoit sa compagne, et se sent délassé.
Le ministre languit dans son pouvoir suprême :
Au sein de sa compagne il vient se fuir lui-même.
Il y vient oublier l'ennui, le noir soupçon,
Dont à l'ame des grands s'attache le poison ;
Et, distrait de l'orgueil par l'amour qui l'appelle,
Du poids, de ses honneurs il respire auprès d'elle.
S'il vivoit solitaire, où m'appuieroit son coeur ?
Il est, comme l'amour, un lien enchanteur ;
C'est la pure amitié. Tendre sans jalousie,
Des hommes qu'elle enchaîne elle charme la vie ;
Mais auprès d'une femme elle a plus de douceur :
C'est alors que d'amour elle est vraiment la soeur.
C'est alors qu'on obtient ces soins, ces préférences,
Ces égards délicats, ces tendres complaisances
Que les hommes entre eux n'ont jamais qu'à demi ;
On a moins qu'une amante, on a plus qu'un ami.
Est-il quelques projets que votre esprit enfante ?
Vous aimez qu'une femme en soit la confidente.
Elle pese avec vous, dans un commerce heureux,
Ce qu'ils ont de certain, ce qu'ils ont de douteux.
Etes-vous tourmenté d'une peine profonde ?
C'est un charme à vos maux qu'une femme y réponde.
Elle prend mieux le toit qui calme les douleurs ;
Son oeil aux pleurs d'autrui sait mieux rendre des pleurs ;
Et son coeur, que jamais l'égoïsme n'isole,
Dit mieux au malheureux le mot qui le console.
Bon La Fontaine, ô toi qui chantas l'amitié,
Avec la Sabliere ainsi tu fus lié.
Prolongeant, sans amour, des entretiens aimables,
Elle écoutoit ton coeur, tes chagrins et tes fables ;
Au fond de ta pensée alloit chercher tes voeux ;
Sauvoit tout soin pénible à tes goûts paresseux,
Et, chassant de tes jours les plus légers nuages,
Te donnoit un bonheur pur comme tes ouvrages.
Tels sont d'un sexe aimé les différents bienfaits.

Mais s'il mene aux plaisirs, il invite aux succès,
Notre gloire est souvent l'ouvrage d'un sourire.
Quel homme, pour charmer la beauté qui l'inspire.
Se livrant aux travaux qu'un regard doit payer,
S'il possede un talent, ne souhaite un laurier!
Ce desir est sur-tout l'aiguillon du poëte.
Sitôt que l'amour parle à son ame inquiete,
Dévorant nuit et jour les écrivains fameux,
Il ne respire plus qu'il ne soit grand comme eux,
Dans ce cirque imposant où regne Melpomene,
Il soumet un ouvrage aux juges qu'elle amene :
Quelle chaleur! quel choc de sentiments divers!
Le feu qui le consume a passé dans ses vers.
Dans les scenes, sur-tout, OÙ l'action pressante
Peint les feux d'un amant, les douleurs d'une amante
Chaque vers est empreint de ce style enflammé,
Que cherchent vainement ceux qui n'ont point aimé.
Du trouble le plus doux il fait goûter les charmes ;
On l'applaudit du coeur, de la voix et des larmes ;
Il triomphe, il jouit ; et s'écrie éperdu :
O femmes! c'est à vous que mon talent est dû.
Ce jeune homme rampoit dans un repos vulgaire ;
D'où vient que maintenant il appelle la guerre ?
C'est qu'aux yeux de l'objet dont son coeur est épris,
Si Mars le rend fameux, il aura plus de prix.
Des femmes, en tout temps, la valeur fut chérie.
Vous le prouvez, beaux jours de la chevalerie,
Dans cet âge célèbre où régnoit la Beauté,
Quand partoit des combats le signal redouté,
La maîtresse d'un Preux, excitant sa vaillance,
Lui donnoit fièrement et son casque et sa lance,
Attachoit son armure, où, d'un travail heureux,
Elle avoit enlacé leurs chiffres amoureux.
Souvent il recevoit d'une amante intrépide
Un voile pour écharpe, un portrait pour égide.
Fier de ces ornements, par une femme armé,
Il combottoit, de gloire encor plus affamé ;
Vingt drapeaux étoient pris, vingt cohortes domtées
On eût dit qu'il portoit des armes enchantées!
Triomphant, au retour quel étoit son bonheur!
L'avouant pour amant, d'accord avec l'honneur,
Dans la solemnité d'une superbe fête,
Elle seule plaçoit le laurier sur sa tête ;
Et ce prix,, dans son coeur tendre et for tour-à-tour,
L'un par l'autre augmentoit la vaillance et l'amour.
Ah! dans nos jours guerriers, ah! pourquoi cet usage
Qui sut de nos aïeux enflammer le courage,
N'a-t-il pas, s'alliant à notre essor nouveau,
De notre république embelli le berceau ?
Sans ce doux aiguillon nous fûmes indomtables,
Mais serions-nous moins grands si nous restions aimables,
Dignes de notre nom, soyons toujours Français,
Je veux voir, dans l'éclat de nos divers succès,
Des vierges, ornement de nos fêtes publiques,
Présenter aux guerriers les palmes héroïques.
C'est ainsi que les Grecs, si grands dans leurs destins,
Couronnaient un vainqueur parles plus belles mains
Et, donnant cet attrait aux faveurs de la gloire,
De plus nombreux exploits remplissoient leur histoire,
Imitons des anciens ces exemples connus :
Il faut que Mars toujours soit l'amant de Venus,
Et que par de tels noeuds ce peuple, en ion audace
Offre un brillant mélange et de force et de grace.
Qui mieux que la Beauté peut armer la valeur ?
Elle même de Mars sent la noble chaleur.
N'a-t-on pas vu jadis une femme grand homme,
S'opposer dans Palmyre aux ravages de Rome ?
Une autre, vers l'Euphrate enchaîné sous sa loi,
Combattre en conquérant et gouverner en roi ?
Que dis-je ? Le laurier n'appartient-ils qu'aux reines ?
Non : mille autres encor, sans être souveraines,
Oserent dans un camp, généraux on soldats,
Presser d'un dur airain leurs membres délicats,
Couvrir d'un casque affreux une tête charmante,
De leurs débiles mains prendre une arme pesante ;
Et cherchant les périls, exposerent aux coups
Ces charmes destinés à des combats plus doux ;
Noble effort, où, comptant sur une double gloire,
Leur bras comme leurs yeux leur donnoit la victoire,
Fiere Telesilla j'atteste tes exploits,
J'atteste ta valeur qui défendit nos lois,
Jeanne d'Arc ; du hameau t'élançant aux batailles,
Quand l'Anglais d'Orléans menaçait les murailles,
Tu parus ; et soudain tout un camp éperdu
Crut voir l'ange de Dieu dans ses rangs descendu.
Tu combats : l'Anglais perd sa superbe assurance ;
Du joug de l'étranger tu délivres la France ;
Tu rends libre Orléans ; et dans Rheims étonné
Tu ramenes ton roi qui fuyoit détrôné.

Sexe heureux ! son destin est de vaincre sans cesse.
Mais peut-être le fer sied mai à sa foiblesse ;
Ses pleurs, arme plus douce, ont autant de pouvoir,
Aman proscrit les Juifs, Esther est leur espoir,
Aux pieds d'Assuérus, de ses larmes ornée,
Esther demande grace, et leur grace est donnée.
Le fier Coriolan, aux Volsques réuni,
Revient exterminer Rome qui l'a banni,
Tribuns, consuls, vieillards, pontifes et vestales,
Tout presse ses genoux sons ses tentes fatales :
Inclinés avec eux devant son front altier,
Ses dieux même, ses dieux semblent le supplier ;
Mais il n'écoute rien qu'une aveugle colere,
Il est prêt à frapper... Il n'a pas vu sa mere !
Elle entre : Rome nvain la séparoit d'un fils ;
Immolant cette injure au bien de sot, pays,
Elle implore un vainqueur, qui cede à sa priere :
Les pleurs de Véturie ont sauvé Rome entiere.
Les pleurs ont mille fois désarmé les héros
Vainement Edouard au glaive des bourreaux
Veut de Calais domté livrer les six victimes ;
Son épouse défend ces Français magnanimes,
Et, d'un prince terrible arrêtant la fureur,
Rend la vie aux vaincus et la gloire au vainqueur.
Quel bonheur pour les rois et la terre soumise
Qu'une femme sensible an troue soit assise!
L'opprimé trouve en elle un généreux secours,
Souvent même, échappée à la pompe des cours,
Duchaume ou des prisons cherchant l'ombre importune,
e vient recueillir les cris de l'infortune ;
Et, trompant des flatteurs les efforts conjurés,
Les porte an souverain qui les eût ignorés.
Elle obtient du pouvoir, qu'elle rend plus affable,
Un poste à l'indigent, un pardon an coupable ;
Elle le fait chérir par ses bienfaits nombreux ;

Et le monarque est grand quand le peuple est heureux.
Quel éclat doit ce sexe à sa vertu suprême!
Mais ne la montre-t-il que sous le diadême ?
A l'exercer par-tout son coeur est empressé.
Ouvre-toi, triste enceinte, où le soldat blessé,
Le malade indigent et qui n'a point d'asyle,
Reçoivent un secours trop souvent inutile :
Là, des femmes, portant le nom chéri de soeurs,
D'un zele affectueux prodiguent les douceurs.
Plus d'une apprit long-te mps dans un saint monastere,
En invoquant le ciel, à protéger la terre ;
Et, vers l'infortuné s'élançant des autels,
Fut l'épouse d'un Dieu pour servir les mortels.
O courage touchant! ces tendres bienfaitrices,
Dans un séjour infect, où sont tous les supplices,
De mille êtres souffrants prévenant les besoins,
Surmontent les dégoûts des plus pénibles soins ;
Du chanvre salutaire entourent leurs blessures ;
Et réparent ce lit témoin de leurs tortures,
Ce déplorable lit, dont l'avare pitié
Ne prête à la douleur qu'une étroite moitié.
De l'humanité même elles semblent l'image ;
Et les infortunés que leur bonté soulage
Sentent avec bonheur, peut-être avec amour,
Qu'une femme est l'ami qui les ramené au jour.

O femmes! c'est à tort qu'on vous nomme timides.
À la voix de vos coeurs vous êtes intrépides.
Pourquoi de vils bourreaux, dans l'empire thébain
Dévouant Antigone aux horreurs de la faim,
La plongent-ils vivante en une grotte obscure ?
C'est qu'à son frere mort donnant la sépulture
Sa main religieuse à la tombe a remis
Ces restes, qu'aux vautours la haine avoit promis.
Elle savoit la loi qui la mené au supplice ;
Mais elle n'a rien vu que son cher Polynice
Qui, privé du tombeau, réclamoit son appui
Et pour l'ensevelir elle meurt avec lui.
Qu'a fait cette Eponine à l'échafaud conduite ?
Dans un obscur réduit, où, dérobant sa fuite,
Sabinus d'un vainqueur trompa dix ans les coups,
Elle vint partager les périls d'un époux.
De l'amour conjugal ô mémorable exemple!
Par elle un souterrain du bonheur fut le temple,
Aux yeux de Sabinus elle sut chaque jour
Embellir par ses soins le plus affreux séjour ;
Des pins sombres échos lui charma la tristesse
En les adoucissant des sous de la tendresse ;
Et du roc, qui la nuit les, recevoit tous deux,
Fit la couche riante où l'hymen est heureux.
Blanche est plus grande encor. Dans Bassane assiégée
Son époux étoit mort ; et, près d'elle érigée,
Chaque jour une tombe a reçu sa douleur.
Bassane cependant cédé au fer du vainqueur.
Parmi les flots de sang que verse sa vengeance,
Jusqu'au palais de Blanche Acciolin s'avance ;
Il la voit ! il l'adore, il tombe à ses genoux,
Et vainqueur, il réclame On triomphe plus doux.
Elle veut résister : il frémit, il menace ;
Aux respects de l'amour a succédé l'audace.
Blanche, près de subir l'horreur de ses transports :
" N'insulte pas, dit-elle, à la cendre des morts.
" Ici repose, hélas! un époux que je pleure :
" Laisse-moi sans témoin l'embrasser !.. Dans une heure.
" De mon triste destin tu pourras disposer. "
Le vainqueur attendri n'ose la refuser ;
Attendoit leur présence à leur porte attachée :
Celle-là, d'un geolier insensible à ses pleurs
Désarmant par son or les avares fureurs,
Dans un sombre cachot, d'un époux ou d'un pere
Accouroit chaque jour consoler la misere.
L'une d'un objet cher qui marchoit à la mort
Demandoit avec joie à. partager le, sort ;
L'autre cédoit aux feux d'un juge sanguinaire,
Pour les jours d'un époux vertueuse adultere :
Toutes enfin, l'appui des Français malheureux,
Parloient, prioient, pleuroient, ou s'immoloient pour eux,
Leur ame en nos dangers fut toujours secourable.
Remontons au moment où d'un regne exécrable
Septembre ouvrit le long et vaste assassinat.
Dans le sommeil des lois, dans l'effroi du sénat,
Des monstres, qu'irritoient Bacchus et les Furies,
Aux prisons en hurlant portent leurs barbaries.
Ils mêlent sous leurs coups les sexes et les rangs ;
Ils jettent morts sur morts, et mourants sur mourants
Tout frémit... Une fille, au printemps de son âge,
Sombreuil vient, éperdue, affronter le carnage :
" C'est mon pere, dit-elle, arrêtez, inhumains ! "
Elle tombe à leurs pieds ; elle baise leurs mains,
Leurs mains teintes de sang! C'est peu ; doublant d'audace,
Tantôt elle retient un bras qui le menace,
Et tantôt, s'offrant seule à l'homicide acier,
De son corps étendu le couvre tout entier.
Elle dispute aux coups ce vieillard qu'elle adore ;
Elle le prend, le perd, et le reprend encore,
À ses pleurs, à ses cris, à ce grand dévouement,
Les meurtriers émus s'arrêtent un moment :
Elle voit leur pitié, saisit l'instant prospere,
Du milieu des bourreaux elle enleve son pere ;
Et traverse les murs ensanglantés par eux,
Portant ce poids chéri dans ses bras généreux.
Jouis de ton triomphe, ô moderne Antigone.
Quel que soit le débat et do peuple et du trône,
Tes saints efforts vivront d'âge en âge bénis ;
Pour admirer ton coeur tous les coeurs sont unis ;
Et ton zele, à jamais cher aux partis contraires,
Est des enfants l'exemple., et la gloire des peres.
Faut-il qu'au meurtre en vain son pere ait échappé ?
Des brigands l'ont absous, (les juges l'ont frappé!
Tel brille en ses vertus un sexe qu'on déprime,
Que sous nos pas tremblants le sort creuse un abyme,
Il s'y jette avec nous, on devient notre appui ;
Toujours le malheureux se repose sur lui.
L'heureux même lui doit ses plaisirs d'âge en âge :
Et, quand son front des ans atteste le ravage,
Une femme embellit jusqu'à ses derniers jours.
Au terme de sa course, il s'applaudit toujours
De voir à ses côtés l'épouse tendre et sage
Avec qui de la vie il a fait le voyage,
Et la fille naïve à qui, pour le chérir,
Il ouvrit le chemin qu'il vient de parcourir.
Grace aux soins attentifs dont leurs mains complaisantes
S'empressent à calmer ses peines renaissantes,
De la triste vieillesse il sent moins le fardeau ;
Il cueille quelques fleurs sur le bord du tombeau ;
Et, lorsqu'il faut quitter ces compagnes fideles,
Son oeil, en se fermant, se tourne encor vers elles
Eh bien! vous, de ce sexe éternels ennemis,
Qu'opposez-vous aux traits que je vous ai soumis ?
Vous me peignez soudain la joueuse, l'avare,
L'altiere au coeur d'airain, la folle au coeur bizarre,
La mégere livrée à des soupçons jaloux,
Et l'éternel fléau d'un amant, d'un époux :
Nous sied-il d'avancer ces reproches étranges ?
Pour oser les blâmer sommes-nous donc des anges ;
Et, non moins imparfaits, ne partageons-nous pas
Leurs travers, leurs défauts, sans avoir leurs appas ?'
Vous ne m'écoutez point ; et, d'un ton plus austere,
Vous m'offrez Eriphile et sa fourbe adultere,
Les fureurs dont Médée épouvanta Colchos,
Le crime qui souilla les femmes de Lesbos,
Messaline ordonnant d'horribles saturnales ;
Et, de l'antiquité passant à nos annales,
Vous mettez sous mes yeux l'affreuse Médicis
Au meurtre des Français encourageant son fils :
Qui ne hait comme vous ces femmes sanguinaires ?
Mais jugea-t-on jamais les rois sur les Tiberes ?
Et la femme perverse, à d'équitables yeux,
Doit-elle rendre enfin tout son sexe odieux ?
Mille étoiles au loin rayonnent sur nos têtes :
Il en est dont le cours amene les tempêtes ;
Mais, quoique leur as pect présage des malheurs,
Trouvons-nons moins d'éclat à leurs brillantes soeurs
Qui viennent, de la nuit perçant les voiles sombres,
Consoler nos regards du vaste deuil des ombres ?
Des fleurs ornent nos champs : mais pour les trahisons
Si plus d'une à la haine offre de noirs poisons,
En admirons-nous moins celles qui sur leur tige
D'innocentes couleurs étalent le prestige,
Et font à l'odorat, comme les yeux charmé,
Respirer le plaisir dans leur souffle embaumé ?
Les femmes, dût s'en plaindre une maligne envie,
Sont ces fleurs, ornement du désert de la vie.
Reviens de ton erreur, toi qui yeux les flétrir :
Sache les respecter autant que les chérir ;
Et, si la voix du sang n'est point une chimere,
Tombe aux pieds de ce sexe à qui tu dois ta mere.

FIN DU POEME.

 © Textes Rares