| Poésie | Page d'accueil. Home page | Adhésion

Sénecé* 

Pièces diverses 2
.................................

Quand mon assiette est couverte
De quelque morceau friand,
Un laquais toujours alerte
Me la change en souriant.

Dans son île barattière
Le fameux Sanche Pança,
Traité de même manière
A bon droit se courrouça.

Marquis, mangeons à notre aise;
Trouvez-vous cela galant?
Il n'est rien qui me déplaise
Comme un repas ambulant.



Pour être heureux, je voudrois peu de chose :
Esprit bien sain, tempérament de fer,
D'argent comptant bonne et loyale dose,
Glace en été, bon feu pendant l'hiver,
Amis choisis, et livres tout de même,
Un peu de jeu, sans pourtant m'y piquer,
Point de procès, dispense de carème,
Sommeil profond, facile à provoquer
Ni créanciers, ni, prêts à critiquer,
Censeurs fâcheux, - beauté tendre et sincère,
Point inégale, et n'aspirant à plaire
Qu'à moi tout seul. Bellocq, si quelque jour
Un beau miracle en ma faveur opère
De ce souhait l'agréable chimère,
Je t'abandonne et Paris et la cour.

Belle Iris, de leurs mains les grâces vous formèrent,
Rien de plus engageant ne se peut concevoir:
Croyez-en mon amour; les ailes lui tombèrent
Dès qu'il eut des yeux pour voir.


Vous me soutenez donc, Vidame,
Qu'il n'est pas mal aisé de faire une épigramme,
Qu'il n'est si pauvre esprit qui n'en trouve la fin.
D'accord, la gloire en est commune,
Vidame, pour qui n'en fait qu'une ;
Mais, pour un livre entier, je le donne au plus fin.


Quand un ami tendre et sincère
Prévient et comble vos souhaits,
Il faut divulguer ses bienfaits ;
C'est être ingrat que de se taire.
En amour, c'est une autre affaire ;
I1 faut savoir dissimuler.
Les faveurs veulent du mystère
C'est être ingrat que de parler.


Tu veux savoir quelle profession
Peut de ton fils établir la fortune ?
Pour satisfaire à ton ambition,
Ecarte-toi de la route commune
Point de collége; il est l'écueil fatal
De la jeunesse : évite Juvénal,
Catulle, Homère, Anacréon, Virgile,
Tous francs bedeaux, qui droit à l'hôpital
Mènent leurs gens : témoin moi, comme mille.
Que faut-il donc ? - Qu'il apprenne à compter,
Peindre correct, calculer, supputer,
Petit commis, puis admis aux enchères,
Le tout, suivant les talents qu'il aura
Si son génie est dur pour les affaires,
Qu'il soit danseur ou chantre à l'Opéra.


Argatiphontidas, cette moustache d'homme,
Qui chez les gens de bien a perdu tout crédit,
Me disoit l'autre jour : Oui, oui, vous l'avez dit,
Que mon père, morbleu, n'étoit pas gentilhomme.
Moi ! repris-je d'un humble ton :
Sur les discours d'autrui vous savez comme on glose
Je l'ai connu sergent, et d'ailleurs grand fripon;
Mais je n'ai pas dit autre chose.


Ma muse à tout propos cherche à me quereller
Sur ma rage d'écrire en langage vulgaire.
Dans un siècle d'ici, me dit-elle en colère,
On ne t'entendra plus parler.
Du François inconstant tu sais le caractère,
Lorsqu'on croit le tenir, tout prêt à s'écouler,
Ainsi qu'anguille en belle eau claire.
Chez lui moeurs, langue, habits, ne cessent de rouler;
Et ce savant dictionnaire,
Que notre Académie avec soin fit mouler,
Et celui qu'osa Furetière
Mal à propos intercaler,
Sans redouter l'affront de se faire exiler,
Auront dans peu de temps besoin de commentaire,
Je lui dis pour la consoler
Qu'à quelque pauvre plagiaire
Je puis devenir nécessaire,
Et que c'est là mon pis-aller.
Puisque le grand Virgile a bien cueilli des roses
Dans les ordures d'Ennius,
Peut-être de mes vers fourrés dans les rebuts
Les fripiers à venir feront de belles choses.


Quoi donc ? avec Bacchus ne peut-on rire
Sans médire
Des amours?
Pour moi, je ne puis m'en dédire,
Ils m'ont fait passer d'heureux jours.
Le vin et la tendresse,
La bouteille et les yeux
D'une jeune maîtresse
Sont des présents des cieux:
Mais si l'on me force
A faire divorce
Avec l'un des deux,
Amour, je renonce à tes feux.
Quand ta flamme est languissante,
Bacchus devient plus puissant ;
Sur nos vieux ans il nous enchante
On n'aime plus à cinquante ;
On peut boire jusqu'à cent.


Aujourd'hui, votre teint parait plus éclatant,
Et vos yeux ont du feu plus qu'à leur ordinaire
Votre miroir vous en a dit autant,
Et vous pouvez avouer sans mystère
Que votre petit coeur de vous-même est content.
Qu'il seroit doux, Philis, d'aspirer à vous plaire,
Si vous ne vous plaisiez pas tant !


Quel moyen de souffrir l'orgueilleux calotin,
Sur ses livres devenu blème !
Il s'est fait mi chaos de grec et de latin,
Qu'il ne peut débrouiller lui-même.
Il m'appelle ignorant; je le suis en effet
Nous le sommes tous deux; avec la différence
Que la nature me l'a fait
Par pure grâce et sans dépense;
Et qu'à l'exemple des pédants
Il a travaillé bien longtemps
Pour acquérir son ignorance.


Tu dis que dans mes épigrammes
La chute est trop lente à venir,
Et que ma muse est de ces femmes
Dont le caquet ne peut finir.
Catulle en a fait d'une page
Où c'est un crime de toucher,
Où, sans défigurer l'ouvrage,
Un mot ne s'en peut retrancher.
Pour toi, qui passes la pratique
Du bel art qu'enseigne Apollon,
Quand tu ne ferois qu'un distique,
Ton distique seroit trop long.


Chacun te fuit et s'éloigne de toi;
A tes côtés règne une solitude
Qui te surprend : tu veux savoir pourquoi ?
Je vais le dire avec la bonne foi
Que me permet notre vieille habitude.
Cette fureur de réciter les vers
A tous venants est cause qu'on t'évite.
Il n'est sujet dans le vaste univers,
Occasion ni grande ni petite,
Il n'est écueil où ne donne à travers
L'empressement d'étaler ton mérite.
Avez-vous vu mon ode sur Carpi ?
Mes triolets sur l'exploit de Crémone ?
Mon madrigal de l'Amour assoupi ?
Ma parodie à l'adieu d'Hermione ?
A ce début, bien que chacun frissonne
D'être importun tu ne peux te passer ;
À table, au lit, sur la chaise percée,
Tu lis partout, et ta muse insensée
Jusqu'à l'église ose nous relancer.
Veux-tu savoir combien te rend coupable
L'entêtement que je cherche à guérir ?
Plein de vertus, bon ami, charitable,
Officieux, indulgent, équitable,
Homme d'honneur, on ne peut te souffrir.


Du repas de Phoedon nous fûmes affamés :
Comment ! quatre poulets mal cuits et mal plumés,
Pas un pauvre ragoût, point de vin de champagne
Pour convives, enfin, deux juges mal famés!
Il nous donna pourtant certain tabac d'Espagne,
Dont, à ce qu'il disoit, nous étions embaumés.
Ce fut en ce moment que le malin Cléanthe,
En se penchant sur moi, vint me dire tout bas
Ami, nous sommes morts, n'en doutons plus, hélas !
Nous buvons de l'oubli la liqueur dégoûtante;
Nous voyons devant nous Minos et Rhadamante,
Nous sommes embaumés et nous ne mangeons pas.


Sur le mausolée de M. le cardinal de RICHELIEU, fait par M. Girardon, en Sorbonne.
SONNET.

Ame de Richelieu, qui du haut de la gloire
Peux contempler l'ardeur de mon empressement
Abaisse tes regards jusqu'à ce monument

Que le zèle françois consacre à ta mémoire.

Vois comme le sculpteur, à l'envi de l'histoire,
Enrichit ta vertu d'un nouvel ornement,
Et va forcer l'oubli dans ce retranchement
Dont la mort et le temps font leur champ de victoire.

Les arts que fit fleurir ta libéralité
Assurent à ton nom la vaste éternité,
Malgré les vains efforts de la parque ennemie ;

Et l'on verra toujours, par leur sublime don,
Fumer le docte encens de ton Académie
Sur l'autel qu'à ta cendre élève Girardon.


Ce marquis si galonné,
Que tu vois dans ce carrosse
D'estafiers environné,
Comme un pois l'est de sa cosse ;
Cet homme, dont à la cour
Tout le monde est camarade,
Et qui vous cite tout court
La Trimouille et La Feuillade,
Qui jamais pour ses désirs
Ne trouva de champ trop vaste;
Qui jamais pour ses plaisirs
Ne trouva de femme chaste,
Cet homme si plein de faste,
Qui, ne crachant que grands mots,
Vous plante au nez sans propos
Mon intendant et mon page ;
Le même, pour abréger,
A mis sa vaisselle en gage,
Pour payer son boulanger.

 

 

 

© Textes Rares