Mathématicien, physicien, chimiste, inventeur, André Marie Ampère [1775-1836] a des convictions religieuses fortes. Il n'hésite pas à faire du prosélytisme : il crée à Lyon, fin 1803-début 1804, une société chrétienne qui va fonctionner quelques mois. A partir de la fin de l'année 1812, Ampère participe aussi à une petite société de métaphysiciens regroupée autour de Maine de Biran.
1804. UNE SOCIETE CHRETIENNE A LYON.
La petite société chrétienne qui se crée fin 1803, début 1804, à Lyon, à l’initiative du mathématicien et physicien André Marie Ampère [1775-1836] livre pêle-mêle un certain nombre de noms,que nous indiquons ici en ordre alphabétique :
- André Marie Ampère [1775-1836], mathématicien et physicien.
- Pierre Simon Ballanche [1776-1847] alors imprimeur à Lyon.
- Clément Barret , frère du Barret imprimeur.
- Claude Julien Bredin [1776-1854], professeur d’anatomie à l'École vétérinaire de Lyon.
- Alexandre Humbert Chatelain [1778-1852], futur secrétaire de l'École vétérinaire
- Déroche, associé de l'imprimeur Barret,
- Louis Furcy Grognier [1774-1837] professeur d'Education, d'hygiène et de zoologie à l'École vétérinaire de Lyon, qui deviendra directeur de l'École vétérinaire.
Ces différentes personnalités nouent entre elles des relations personnelles , qui se croisant régulièrement vont jusqu’à former l’ébauche d’un réseau social. D’autant qu’elles sont toutes plus ou moins unies, par leur propre histoire lyonnaise, ou celle de leurs parents, dans une même haine du jacobinisme et de la Révolution française.
CLAUDE JULIEN BREDIN [1776-1854].
Une place particulière doit être donnée à Claude Julien Bredin [1776-1854]. En 1803, il a vingt-sept ans. Diplômé vétérinaire [1791] est depuis 1799, professeur d’anatomie à l'École Vétérinaire de Lyon-Vaisse dont son père Louis Bredin est le directeur, après avoir été directeur de l'École vétérinaire d’Alfort. A la mort de son père, Claude Julien deviendra lui-même directeur de l'École vétérinaire de Lyon.
Autour de Claude Julien Bredin et de son emploi à l'École vétérinaire de Lyon s’agrègent Alexandre Humbert Chatelain [1778-1852], critique d’art, peintre, futur secrétaire de l'École Vétérinaire ; et Louis Furcy Grognier [1776-1837] professeur d'Education, d'hygiène et de zoologie à l'École Vétérinaire.
PIERRE SIMON BALLANCHE.
Une place particulière doit être donnée aussi à Pierre Simon Ballanche [1776-1847]. En 1803, il a vingt-sept ans. Depuis 1802 il est associé aux affaires de son père Hugues Jean Ballanche [1748-1816] qui est imprimeur établi à son compte aux Halles de la Grenette depuis 1796. En 1802, cette imprimerie est une des plus importantes de Lyon. On y imprimait des journaux : le Journal de Lyon et du Midi, l’Almanach de la Ville de Lyon, le vieux Calendrier nouveau journalier qu’avait créé Laurent Langlois en 1711, Les Petites affiches, le Bulletin de Lyon. C’est dans le Bulletin de Lyon que Pierre Simon Ballanche publie ses premiers travaux littéraires, et notamment Du sentiment considéré dans ses rapports avec la littérature et les arts [1801].
On peut dire que tout ce qui se publie à Lyon en histoire, en archéologie, en sciences, sort de cette imprimerie.
A tel point que va se constitue autour de l’activité d’édition de Ballanche, et à l’adresse familiale, puis au Palais des Arts, une société littéraire, avec la devise Amicitiae et litteris, salon que fréquente toute une pléiade de personnalités : l’homme politique Camille Jordan [1771-1821] ; l’homme de lettres Jean Baptiste Dugas-Montbel [1776-1834] ; Joseph Marie Gérando [1772-1842] doublement lauréat de l’Institut national et de l’Académie de Berlin ; André-Marie Ampère ; l’abbé Pierre Etienne de Bonnevie [1761-1849] ; le peintre Fleury Richard et son confrère Révoil.
Autour de Pierre Simon Ballanche et de son activité d’éditeur s’agrège Clément Barret , frère du Clément Barret imprimeur qui a longtemps travaillé avec Hugues Jean Ballanche et qui, après s’en être séparé, continue son activité d’imprimeur dans des locaux du Palais Saint-Pierre, place des Terreaux. S’agrège aussi Desroche [ou Déroches], associé de l'imprimeur Barret,
LE RÔLE DETERMINANT D’AMPERE.
André Marie Ampère [1775-1836], mathématicien, physicien et chimiste, est un savant précoce dont les investigations sont multiples et qui s’appuie sur des travaux conduits à partir de son laboratoire d’électricité installé à Lyon, dans son appartement de la rue Mercière.
Ampère a d’abord été nommé professeur de physique et de chimie à l'École Centrale de Bourg-en-Bresse [février-mars 1803]. Puis, à la suite d’une inspection de deux membres de l'Institut, Jean Baptiste Delambre [1749-1822] tout nouveau Inspecteur général de l’Instruction publique [juin 1802] et Noël Gabriel Luce Villar [1748-1826], tout nouveau Commissaire pour la formation des lycées [juin 1802] Ampère, après la fermeture des Écoles centrales le 27 avril 1803, est nommé professeur des classes de mathématiques de 3ème et de 4ème au Lycée de Lyon.
Il y prononce sa première leçon le 5 juillet 1803.
Depuis août 1799, il est marié avec Julie Caron, rencontrée en 1796. Un an après naît un fils, Jean Jacques Ampère [1800-1864], né le 12 août 1800.
Éloigné de la religion depuis la mort de sa sœur, c’est sous l’influence pressante de sa femme qu’Ampère se rapproche expressément du catholicisme fin mai-début juin 1803, quelques semaines avant le décès de son épouse, le 13 juillet 1803.
C’est dans cette période d’exaltation religieuse, qui s’étend de fin 1803 à fin 1804, qu’Ampère prend l’initiative de constituer une petite société chrétienne.
AMPERE, BALLANCHE ET BREDIN.
Ampère et Ballanche sont en relation autour de l’année 1797, au moment où Ampère quitte son village de Poleymieux au Mont-D’Or où il a passé sa jeunesse, pour s’installer à Lyon.
Ballanche fait partie de ce petit groupe d’amis, signalé par Sainte-Beuve qui se réunissait dans l'après-dîner, de quatre à six, à un cinquième étage, rue des Cordeliers, chez Pierre Lenoir, pour parler science et littérature : André Marie Ampère, Pierre Simon Ballanche, Clément Barret, Jean Marie Bonjour, avoué près la cour royale de Lyon, Journet, Pierre Lenoir.
Les relations de Ballanche et d'Ampère sont suffisamment proches pour que Ballanche soit le témoin du mariage civil d’Ampère en août 1799.
Ballanche, comme Ampère, sont également tous les deux « émules » [autrement dit correspondants] de la Société libre des sciences, lettres et arts créée en juillet 1800, sous le nom d’Athénée, qui se substitue à l’ancienne Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon dissoute en août 1793.
Ampère et Claude Julien Bredin font connaissance un peu plus tardivement, en novembre 1803. Dans l'éloge d'Ampère que Bredin lira à l'Académie de Lyon en 1837, après la mort d’Ampère, il est indiqué : « Au mois d'août suivant [1803], Ampère apprit qu'à l'École vétérinaire dans un cours de morale, je professais la doctrine de l'Absolu pour laquelle il était passionné et conçut le vif désir de se lier avec moi. Une première entrevue n'eut cependant lieu que l'un des premiers jours de novembre. Bien que partant des mêmes principes, nous ne marchions pas longtemps sur la même ligne, et des discussions très animées s'élevèrent entre nous qui furent à l'origine de la sainte et indissoluble amitié qui nous unit et dont je rends grâce à Dieu, comme ce qu'il a eu de plus heureux et de meilleur dans ma vie ».
Quant à Claude Julien Bredin il fait la connaissance de Ballanche grâce à Jacques Roux-Bordier [1771-1822], genevois d’origine, ancien élève de l’Ecole vétérinaire de Lyon, qui vit la majeure partie de son temps à Lyon.
C’est ce même Jacques Roux-Bordier, ancien professeur de mathématiques à l'Ecole centrale de Lyon, intéressé par Kant, par le mysticisme et l’illuminisme, qui a présenté Claude Julien Bredin à André Marie Ampère.
LES REUNIONS ET LES THEMES DE LA SOCIETE CHRETIENNE.
La première réunion, qui se tient chez Bredin, a lieu le 24 février 1804 [4 ventôse an XII]. Ampère en assure la présidence, Claude Julien Bredin le secrétariat.
Une seconde réunion a lieu le 2 mars 1804 [11 ventôse, an XII]. Au cours de cette séance, Ampère en sa qualité de président « rappelle à l'assemblée que l'objet de la réunion est la recherche de la vérité, et que chaque sociétaire doit concourir à ce but, de tous ses moyens. On se formerait une fausse idée de la Société chrétienne si l'on pensait que les opinions n'y seront pas libres ? Il sera permis à chacun d'élever des doutes et de faire des objections. Quelle est pour l'homme, l'étude la plus importante ? N'est-ce pas celle de lui-même? La connaissance de sa destination future, et de ses rapports avec son créateur, n'est-elle pas la plus précieuse? Le séjour de l'homme sur la terre n'est pas le but de sa création ».
On connaît les thèmes qui ont été retenus par chacun des membres.
- Claude Julien Bredin : importance de la connaissance de la destination de l'homme. ?
- Louis Furcy Grognier : l'homme trouve-t-il en soi les moyens de connaître sa destination?
- Pierre Simon Ballanche : doit-il, peut-il y avoir une révélation ? ?
- Clément Barre : la révélation porte-t-elle des caractères essentiellement divins ? ?
- Deroche : histoire de la révélation depuis l'origine du monde. ?
- André Marie Ampère : exposé des preuves historiques de la révélation. ?
- Alexandre Humbert Châtelain : comparaison de la morale chrétienne et de celle des philosophes. ?
- Pierre Simon Ballanche : influence du christianisme sur le genre humain.
UNE SOCIETE EPHEMERE.
On a l’habitude d’ajouter à ces membres fondateurs une liste d’associés : Jean Marie Bonjour, avoué près de la cour royale de Lyon, Deplace, Coste, de Moidieu, Perrier, Désalines d'Ambérieu, Deplace jeune, Tissier, Cholet, Peissonneau.
Mais André Marie Ampère ne souhaite pas rester à Lyon et engage des démarches afin d’être appelé à Paris.
Il est nommé, le 2 octobre 1804, répétiteur d’analyse à l’Ecole polytechnique auprès de François Sylvestre Lacroix [1765-1843], comme remplaçant de Louis Benjamin Francoeur [1773-1819] qui vient de démissionner.
La société chrétienne réduite à quelques membres finit rapidement par ne plus se réunir.
ANDRE MARIE AMPERE ET MAINE DE BIRAN.
Une correspondance philosophique entre André Marie Ampère et Maine de Biran existe dès 1805, alors qu’Ampère, quittant son poste de professeur de mathématiques transcendantes au lycée de Lyon, est installé à Paris depuis fin 1804. Cette correspondance se poursuit jusqu’en octobre 1817.
Quant à Maine de Biran, dès qu’il est installé à nouveau à Paris, au 34 de la rue Cassette, à la fin de l’année 1812, pour pouvoir participer aux travaux du Corps législatif il crée autour de lui « une petite société habituelle de métaphysiciens ». Selon l’expression qu’il emploie dans son Journal, Maine de Biran dit : André Marie Ampère, E. P. H. Duriveau, directeur des études à l’École polytechnique ; quelquefois Venceslas Jacquemont, ancien membre du Tribunat et Pierre Laromiguière titulaire de la chaire de Philosophie à la Faculté des lettres de Paris « sont ses jouteurs ».
Cette « société spiritualiste » va fonctionner autour de Biran pendant plusieurs années. Y participent, de façon plus ou moins régulière, en plus des personnes déjà citées, des personnalités, comme le docteur Alexandre Jacques François Bertrand [1795-1831], rédacteur au Globe ; Gérard Joseph Christian [1778-832], directeur du Conservatoire des arts et métiers [1817] ; Joseph Marie baron de Gérando [1772-1842] conseiller d'État ; François Guizot [1787-1874], professeur d’Histoire moderne à la Faculté des lettres de Paris [1810-1815] ; Pierre Laboulinière [1780-1827], secrétaire général de la préfecture de Tarbes ; Charles Loyson [1791-1819], ancien élève de l’École normale et poète à ses heures ; Pierre Paul Royer-Collard [1763-1845] doyen de la Faculté des Lettres de Paris ; Albert Stapfer [1766-1840], ancien ministre plénipotentiaire de Suisse en France ; Jean François Thurot [1768-1832], ancien suppléant de Laromiguière, professeur de Philosophie grecque et latine au collège de France [1814].
Les rencontres peuvent prendre la forme de conversations en tête à tête, à trois ou à quatre ; de dîners permettant des débats ; des réunions plus formelles, avec des exposés de travaux en cours ; des correspondances avec tel ou tel.
UN MODELE.
Et compte-tenu de la proximité de la relation André Marie Ampère-Maine de Biran, il n’est pas exclu de penser que c’est la société chrétienne d’Ampère à Lyon, en 1804, toute éphémère qu'elle fût, qui a fourni à Maine de Biran, à Paris, le modèle de sa « petite société de métaphysiciens » qui va fonctionner pendant une dizaine d’années de la fin de l’année 1812, jusqu’en 1822.
jjb 050810