Ferdinand Hoefer, secrétaire de Victor Cousin

Jeune enseignant, Ferdinand Hoefer [1811-1878], dont l’allemand est la langue maternelle, a vingt-trois ans, lorsqu’il devient pour quelques mois le secrétaire de V. Cousin. Camille Flammarion [1842-1825] raconte dans ses Mémoires biographiques et philosophiques d’un astronome [Paris : E. Flammarion. 1912] un épisode pittoresque de cette brève collaboration.

HOEFER SECRÉTAIRE DE V. COUSIN.

« Hoefer devient secrétaire de l’académicien [note 1]. Quel honneur ! Mais quel dénuement ! Écrire sous la dictée du maître, recevoir sans intermédiaire les paroles sonores qui tombaient de sa bouche, et les communiquer à la postérité, c’était à peu près tout le traitement du secrétaire !

Un jour il s’était installé dans un petit cabinet de la bibliothèque de l’Institut, afin de vérifier plus commodément les passages des pères de l’Église qu’Abélard [note 2] cite dans son Sic et Non lorsque Cousin remarqua cet aphorisme issu du prologue : Dubitando ad veritatem pervenimus  [ie : C’est en doutant que nous marchons vers la vérité].

Abélard, n’invoquant à ce propos aucune autorité, Cousin n’hésite pas à lui faire honneur de cette proposition analogue à la théorie de Descartes sur le Doute. Aussitôt, sur cette découverte philologique, Cousin compose pour l’Académie des sciences morales et politiques un Mémoire [note 3] dans lequel Abélard est présenté comme le précurseur de Descartes. Sa lecture est parfaitement accueillie. Il vient informer son secrétaire de l’assentiment flatteur de son auditoire académique.

« Mais, lui dit tranquillement Hoefer, le passage dont vous me parlez n’est pas d’Abélard, il est de Cicéron, et même du traité le plus connu de l’orateur romain, De Officiis ».

« Malheureux ! s’écrie le philosophe transporté de colère. Ne m’avoir pas garanti de cette méprise !… Je suis un homme totalement déshonoré ! ».

L’emportement philosophique prit ce jour-là un tel diapason, que le pauvre secrétaire dut rompre sans plus tarder. C’était en 1836. […] Il se vit obligé qe quitter son maître, se décida à choisir une profession plus indépendante, se consacra à la médecine et se fit recevoir docteur [note 4] ».

 

Note 1. HOEFER SECRÉTAIRE DE L’ACADÉMICIEN.

Victor Cousin [1792-1867]. Membre du Conseil royal de l’Instruction publique depuis août 1830 ; membre de l’Académie française où il a été élu le jeudi 18 novembre 1830, en remplacement de Joseph Fourier ; nommé pair de France en octobre 1832 ; membre de l’Académie des sciences morales et politiques, où il a été élu le 27 octobre 1832.

Jean Chrétien Ferdinand Hoefer [1811-1878] est secrétaire de V. Cousin fin 1834 et dans les premiers mois de 1835. La date de la communication de V. Cousin à l’Académie des sciences morales et politiques est un repère assuré. Camille Flammarion en citant 1836 retarde par erreur l’événement d’une année.

 

Note 2. VICTOR COUSIN ET ABÉLARD.

V. Cousin, à partir de 1835, prépare une édition des Ouvrages inédits de Pierre Abélard, qui paraîtra en 1836, et pour laquelle il rédigera une Introduction de près de 220 pages : Pierre Abélard. Ouvrages inédits d’Abélard, pour servir à l’histoire de la philosophie scolastique en France, publiés par Victor Cousin. Paris : Imprimerie royale, in-4, CCIII-677 p., 1836.

Fait partie de la Collection des documents inédits sur l'Histoire de France, publié par ordre du Roi, 2ème série.

V. Cousin rédige un texte d'introduction de près de 220 pages.

Note 3. COUSIN COMPOSE UN MÉMOIRE.

V. Cousin dispose du texte d’un écrit théologique inédit d’Abélard : Le Sic et Non [le Oui et le Non], d’après deux manuscrits, l’un de Saint-Michel, l’autre de Noirmoutiers.

V. Cousin lit son Mémoire sur le Sic et Non à l'Académie des Sciences morales et politiques, dans la séance du 1er mars 1835. Son travail est publié dans les Compte-rendus des Séances et travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques, deuxième série, tome 1, pages 513-537, Paris : Didot, 1837.

Publié également en tiré-à-part. Puis repris, en 1838, dans la troisième édition en deux volumes des Fragments philosophiques, tome 2, pages 104-131.

Note 4. HOEFER SE FIT RECEVOIR DOCTEUR.

Devenu docteur en médecine, avec une thèse sur la chlorose [Paris, 31 janvier 1840] Ferdinand Hoefer s’établit à Paris comme médecin.

En 1843 et en 1846 il est chargé de missions scientifiques en Allemagne par le Ministère de l’Instruction publique.

A partir de 1851, Hoefer dirige la publication, chez Firmin-Didot frères, de la Nouvelle biographie générale universelle, qui paraît en 46 volumes de 1852 à 1866.

 

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