Un classique de la littérature religieuse avec de curieuses gravures de facture naïve, écrit par un prélat à la plume très féconde, trop selon ses contemporains, les critiques et la postérité qui l’a oublié. Nous reproduisons quelques pages et les gravures de l’auteur.
Notice sur l’auteur
« GODEAU ( Antoine ), né à Dreux [en 1605] d’un élu de celle ville, rechercha une demoiselle qui le rebuta parce qu’il étoit petit et laid. Après cette mortificalion, il vint à Paris embrasser l’état ecclésiastique. Produit par Chapelain à l’hôtel de Rambouillet, le bureau du bel esprit, et souvent du faux esprit, il y brilla par ses vers et par une conversation aisée.
On l’appeloit le nain de Julie (mademoiselle de Rambouillet s’appeloit Julie.) Il fut un de ceux qui, en s’assemblant chez Conrart, contribuèrent à l’établissement de l’académie française. Le cardinal de Richelieu , instruit de son mérite , lui accorda une place dans cette compagnie naissante. On dit que ce ministre lui donna l’évêché de Grasse pour faire un jeu de mois. Godeau présente à ce cardinal une Paraphrase en vers du cantique Bénédicité, et il reçoit pour réponse : « Vous m’avez donné Benedicite, et moi je vous donne Grasse » Plusieurs critiques prétendent que le cardinal de Richelieu ne se servil jamais de ce calembourg, et leurs raisons paroissent plausibles ( cf. les Remarques de l’abbé Joly sur le Dictionnaire de Bayle, au mot Balzac.) Cependant, comme celle anecdote est répandue, nous avons cru devoir la rapporter, en la donnant pour un bruit populaire. Il est certain que Godeau commença sa Traduction des Psaumes par la Paraphrase du Bénédicité; et ce poème, trèsbon pour le temps, le fit connoître avantageusement. Dès que Godeau eut été sacré, il se retira dans son diocèse, el se dévoua entièrement aux fonctions épiscopales. Il y tint plusieurs synodes, instruisit son peuple, réforma son clergé, et fut une leçon vivante des vertus qu’il demandoit aux autres. Il vécut dans l’étude et dans la retraite. Il disoit des Provençaux « qu’ils étoient riches de peu de bien ; glorieux de peu d’honneur ; savans de peu de science. « Les états de Provence l’ayant député à Anne d’Autriche, pour obtenir la diminution d’une somme demandée par cette princesse, il dit dans sa harangue que « la Provence étoit fort pauvre, et que comme elle ne parloit que des jasmins et des orangers, on pouvoit l’appeler une Gueuse parfumée…»
Innocent X lui accorda des bulles d’union de l’évêché de Vence avec celui de Grasse ; mais le clergé de Vence s’était opposé à cette union. Il quitta le diocèse de Grasse , et mourut à Vence le 21 avril 1672, à 67 ans. Ce prélat écrivoit avec beaucoup de facilité en vers et en prose : mais ses vers ne sont le plus souvent que des rimes ; et sa prose coulante et aisée est quelquefois trop abondante et trop négligée. Les principaux fruits de son esprit fécond sont,
I. Histoire de l’Eglise depuis le commencement du monde jusqu’à la fin du 9° siècle, 5 vol. in-folio , et 6 vol. in-12. Cette histoire, écrite avec noblesse et avec majeslé, est moins exacte que celle de l’abbé Fleury ; mais elle se fait lire avec plus de plaisir. Lorsque Godeau travailloit à la suite de son Histoire, il eut l’occasion de rencontrer le P. Le Cointe, de l’Oratoire, chez un libraire. L’oratorien, ne sе doutant pas qu’il parloit devant l’auteur, se plaignit de l’inexactitude des fails et des dates. Godeau ne se fit point connoître; mais le jour même il se rendit à l’Oratoire , remercia le père Le Cointe de sa critique, et profita de ses remarques pour une seconde édition. Ce trait de modestie inspira au père Le Cointe beaucoup d’estime pour le préial, qui, à son tour , conçut une vive amitié pour l’oratorien.
II. Paraphrases des Epitres de saint Paul, et des Epîtres canoniques, in-4°, dans le goût des Paraphrases du père Carrières, qui, en prenant l’idée de l’évèque de Grasse, l’a perfectionnée.
III. Vies de saint Paul, in-4° ; de saint Augustin, in-4° ; de saint Charles Borromèe, I748, 2 vol. in-12; de Denys de Cordes, etc.
IV. Les Eloges des évêques qui, dans tous les siècles de l’église, ont fleuri en doctrine et en sainteté, in-4°
V. Morale chrétienne, Paris, 1709, 5 vol. in-12, pour l’instruction des curés et des prêtres du diocèse de Vence. L’auteur, ennemi de la morale relâchée, opposa cet ouvrage aux maximes pernicieuses de certains casuistas. Ce corps de morale, composé pour l’usage de son diocèse, est écrit avec beaucoup de netteté, de précision et de méthode. C’est, selon Nicéron, le meilleur ouvrage de Godeau.
VI. Version expliquée du nouveau Testament, 1668, 12 vol. in-8°. Cette traduction, à peu près du même genre que les Paraphrases de saint Paul, dont nous avons parlé, est plus concise. Godeau traduit littéralement les paroles du texte, el y insère seulement quelques mots imprimés en italique , qui l’éclaircissent. Richard Simon prétend qu’il ne traduit pas toujours exactement, parce que ne sachant ni le grec, ni l’hébreu , il n’avoit pas tout ce qu’il falloit pour être un bon traducteur.
VII. Les Psaumes de David, traduits en vers français, in-12. Les calvinistes s’en servent dans le particulier, à la place de ceux de Marot, consacrés pour les temples. Quoique le style de cette version soit eu général lâche et diffus, cependant la versification a de la noblesse et de la douceur.
Vlll. Plusieurs autres Poésies : les Fastes de l’Eglise , qui contiennent plus de 15000 vers; le Poëme de l’Assomption; ceux de saint Paul, de la Magdeleine, de saint Eustache; des Eglogues chrétiennes, etc.
Le fécond auteur de tant de productions différentes disoit que le paradis d’un écrivain étoit de composer, que son purgatoire étoit de relire et retoucher ses compositions; mais que voir les épreuves de l’imprimeur, c’étoit là son enfer. » D’autres auteurs, meilleurs juges que Godeau, out trouvé leur enfer à passer, après la crise de l’impression, sous les verges de la satire. Godeau, touché des abus que la plupart des versificateurs faisoient de la poésie, voulut la ramener à son véritable usage ; mais il mérita plus d’éloges pour sou intention que pour ses succès. Froid dans les détails, méthodique dans l’ordonnance,uniforme dans les expressions, il se copie lui-même, et ne connoit pas l’art de varier ses tours et ses figures, de plaire à l’esprit et d’échauffer le cœur. On est forcé de se demander, en les lisant, comme le jésuite Vavasseur : Godellus utrùm poëta ? Et le goût répond presque toujours : Non….
Despréaux n’en a pas juge plus favorablement. Voici comme il en parle dans une lettre à l’abbé de Maucroix : « Je suis persuadé , aussi bien que vous, que M. Godeau est un poète fort estimable. Il me semble pourtant qu’on peut dire de lui, ce que Longin dit d’Hipéride, qu’il est toujours à jeun, et qu’il n’a rien qui remue, ni qui échauffe ; en un mot, qu’il n’a point cette force de style et celte vivacité d’expressions qu’on cherche dans les ouvrages et qui les font durer. Je ne sais point s’il passera à la postérité : mais il faudra pour cela qu’il ressuscite; puisqu’on peut dire qu’il est déjà mort, n’étant presque plus maintenant lu de personne. » Maucroix, en répondant à Despréaux, lui dit : « M. Godeau écrivoit avec beaucoup de facilité , disons avec trop de facilité. Il faisoit deux ou trois cents vers (comme dit Horace ) stans pede in uno. Ce n’est pas ainsi que se font les bons vers. Néanmoins, parmi ses vers négligés , il y en a de beaux qui lui échappent…»
extrait de Dictionnaire universel, historique, critique et bibliographique, Mame, 1810