Cet opuscule bien modeste s’apparente à cette vaste littérature de colportage qui depuis le début du dix-septième siècle s’épanouit sur près de trois cents ans. L’ Almanach paraît sans nom d’auteur. Mais qu’importe, il revendique nettement la notoriété de ses illustrateurs, : Gavarni, Daumier, Trimolet, Vernier, Geoffroy.
Et surtout il se place sous le patronage du grand Nostradamus. Qui pourrait refuser, avec un tel parrain, de connaître son avenir ? Le prix est abordable : on se laissera tenter.
D’autant que des notabilités scientifiques et littéraires semblent apporter leur caution… Pendant vingt ans, il sera publié par un homme qui eût un temps une réelle notoriété : Eugène Bareste.
1814-1861. EUGÈNE BARESTE EN BREF.
Journaliste, critique d’art, homme de lettres, Eugène Bareste [1814-1861] pendant une grande partie de sa vie professionnelle, s’est engagé dans plusieurs entreprises de librairie, autrement dit d’édition.
1.Il traduit et fait paraître, en 1842 une édition appréciée de l’Odyssée, dédiée à l’Académie française et à l’Académie des Inscriptions et belles-lettres, et, en 1843, une édition de l’Iliade, dédiée à Abel François Villemain, ministre de l’Instruction publique. A la suite de quoi, il reçoit une mission officiellement de deux missions scientifiques pour la recherche de livres et d’objets d’art tirés ou relatifs au grand poète grec.
2.Critique d’art, il contribue au journal l’ Artiste [1831], participe à la rédaction du Journal général de la France, à la Revue du XIX ème siècle. Il est aussi le rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Moniteur des arts, de la littérature et de toutes les industries relatives à l’art [1845].
3.Ancien saint-simonien, qui avait fait partie du groupe apostolique de Ménilmontant [1832], Eugène Bareste est le rédacteur en chef et le gérant du quotidien La République, qui paraît pendant quatre années, de février 1848 au coup d’État du 2 décembre 1851.
4.Enfin, Eugène Bareste, en même temps qu’il publie plusieurs ouvrages sur Nostradamus, lance, dans l’esprit des livres de colportage, un Almanach prophétique, pittoresque et utile. Créée en 1841, cette publication annuelle paraît sur une longue période, au moins jusqu’en 1905, bien au delà du décès d’Eugène Bareste survenu en 1861.
1841. L ‘ALMANACH PROPHÉTIQUE, PITTORESQUE ET UTILE.
Sous ce titre, paraît chaque année, de 1841 jusqu’à 1903, de façon très régulière, une livraison brochée en petit format [in-16], tenant aisément dans la poche, de l’ordre de 192 pages, à chaque fois très abondamment illustrée d’une centaine de gravures sur bois. La brochure est en vente dès le mois d’octobre précédant la date de l’année portée sur l’Almanach, au prix de cinquante centimes.
Avec, le plus souvent, une couverture jaune et un texte en rouge, illustrée d’un bois gravé représentant un astrologue observant le ciel, ou assis à sa table du travail, supposé figurer Nostradamus.
D’autant que, de 1841 à 1848 inclus, le titre indique « publié par Nostradamus », puis à partir de 1849, le titre porte « publié par un neveu de Nostradamus ».
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RICHEMENT ILLUSTRÉ.
Sur les vingt ans présentés par la période 1841, année de la première publication, et 1861, année du décès d’Eugène Bareste, l’Almanach fait appel à à peu près cent-cinquante illustrateurs, qui fournissent des vignettes de petit format. En utilisant parfois des bois qui ont été déjà employés dans d’autres ouvrages, et dont les graveurs sont décédés.
Les collaborateurs les plus fréquents sont Pierre Alexandre Beulant [1822-1896], Louis Joseph Brugnot [1814-1845], Prosper Adolphe Léon Cherrier [1806-1875], Charles Geoffroy [1819-1882], Alexandre de Saillet [1811-1866], Joseph Louis Trimolet [1812-1843], Charles Vernier [1831-1887]. Presque tous travaillent pour d’autres publications, comme Le Charivari, le Magasin pittoresque, l’Illustration.
Certains des graveurs, dont les bois sont utilisés dans l’Almanach, sont très connus : Bertall [1820-1882], Honoré Daumier [1808-1879], Gavarni [1804-1866], Tony Johannot [1803-1852], Célestin Nanteuil [1813-1873], Auguste Raffet [1804-1860].
DES THÈMES DE CULTURE POPULAIRE.
Chaque numéro est placé sous le patronage de Nostradamus et donne une large place à l’astrologie, aux prophéties, aux tables tournantes, au spiritisme, à l’Illuminisme.
Ainsi qu’à des personnalités se rapportant à ces domaines : Alexandre de Cagliostro, Louis-Claude de Saint-Martin. Ou encore à des phénomènes supposés frapper l’imagination populaire et liés à l’astronomie : marées, éclipses, météores.
Les grands personnages sont célébrés : Joinville, Catherine de Médicis, Madame de Maintenon, Napoléon, Abd el-Kader, Bugeaud.
Des écrivains sont mis en avant : Rabelais, Silvio Pellico, Johann Joseph Gessner, Félicité de La Mennais, Alphonse de Lamartine.
Une certaine place est donnée à la peinture, domaine de compétence d’Eugène Bareste, critique d’art : David Téniers, Jacques Louis David, Théodore Chassériau, Jean-Baptiste Isabey ; à des pratiques insolites de cultures éloignées : derviches tourneurs, mormons.
Enfin, à partir de 1856, une rubrique nécrologie permet de traiter de personnalités connues du grand public, et d’affirmer un ancrage dans l’actualité : Charles de Lacretelle, Jacques Arago, Émile de La Bédollière, Alfred de Musset, le Baron Thénard, etc.
JJB 04-2011