En japonais [七 福神] : Schichifukujin. Bien sûr, comme d’habitude, il suffit de lire. Schichi, sept. Fuku, fortune au sens de chance. Jin, divinité. Il suffit de se promener : on rencontre ces divinités à tous les coins de rue.
Ce sont des divinités séparées, soit sous forme de statues érigées dans les temples, soit en simples amulettes ou en délicats netsukés ; ou bien rassemblées sur des images le plus souvent abondamment coloriées, tirées à un grand nombre d’exemplaires et surtout achetées à l’occasion de l’année nouvelle.
On est frappé à chaque fois par la luxuriance des scènes où fréquemment les divinités sont représentées entassées dans un bateau dragon, le bateau à trésor, sous la protection bienveillante d’une grue examinant au lointain le destin qui s’annonce.
Ici, on doit cette simple image en noir et blanc, teintée d’un certain humour, à l’Institut des Études japonaises [Collège de France].
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Hommage indirect à l’orientaliste Bernard Frank [1927-1996], professeur du collège de France, dans la chaire de Civilisation japonaise [1980-1996], puisque cette image appartient justement au fonds Bernard Frank.
En donnant, autant que faire se peut, dans la description ci-dessous, des informations complémentaires, utiles sans doute pour un premier déchiffrement de cette assemblée des sept divinités de la Fortune.
En remarquant d’abord que si le nom de chacun est suivi de « Ten », c’est que 天 signifie Cosmos, Ciel, ou encore Divinité.
BISHAMON-TEN. 毘沙門天
C’est le personnage, à l’arrière-plan, le plus à gauche, dont on aperçoit, sous l’éventail, le visage barbu. La tête est protégée par un casque, et sur les épaules s’échelonnent les plaques de son armure. C’est la divinité des guerriers, chargé de châtier les créatures maléfiques. Aussi le représente-t-on parfois foulant au pied un démon.
Au sein des Sept Divinités de la Fortune, Bishamon-Ten est censé apporter le succès.
Il y a des correspondances de cette divinité dans l’hindouisme, où le personnage porte un autre nom : Kubera, ou en sanscrit Vaiśravaṇa [le guerrier noir]. C’est le Gardien du Nord, l’une des quatre rois célestes, protecteurs des points cardinaux. On le représente en armure tenant dans sa main droite un stupa [reliquaire], et dans sa main gauche un bâton surmonté d’un joyau, en encore tenant une lance ou un trident.
BENZAI-TEN. 弁財天
C’est la femme, placée presqu’au centre de l’image, un peu en arrière-plan. En dessous de son visage aux traits délicats on voit un collier qui couvre sa poitrine. Un large peigne maintient haute sa coiffure.
Elle joue du biwa, luth japonais à quatre cordes, apparenté au pipa chinois, descendant lointain de l’oud persan.
Dans l’hidouisme elle est Saraswati, épouse de Bhrama. Divinité aux quatre bras, elle est la déesse de l’éloquence, de la sagesse, des arts et de l’écriture.
Et à l’époque védique, elle est divinité des rivières.
DAIKOTU-TEN. 大黒天
C’est le personnage bien en chair, le plus à gauche, barbu, coiffé d’un bonnet, que l’on voit de profil, les traits emprunts d’une certaine gaieté. Aidé d’Ebisu, il s’efforce de tirer un énorme sac de riz.
Sa tenue, avec son chapeau, fait penser au costume « karigunu », autrement dit « costume pour la chasse », porté par les fonctionnaires civils et militaires de la Cour.
Daikoku-ten, en couple avec Ebisu, est censé apporter la fortune.
EBISU. 恵比寿
On le voit de face, au premier plan, apportant son aide à Daikoku-Ten, en tirant à force le même énorme sac de riz.
Même bonnet, même tenue, si ce n’est qu’au bas de son vêtement sont brodées des petites souris : l’importance des réserves en riz de Daikoku et d’Ebisu est telle qu’ils ne craignent aucunement la voracité des souris ravageuses…
Divinité protectrice des pêcheurs, dans cette estampe Ebisu a abandonné ses attributs habituels : énorme daurade et canne à pêche
HOTEI. 布袋
On le voit de face, agitant au plus haut, de sa main droite, un éventail, symbole de commandement.
Au centre de l’estampe, ventripotent, et débraillé, chacun reconnaît en lui l’image familière du moine mendiant, devenu, par homophonie, le « buddha », ventru et rieur si populaire aujourd’hui encore en Chine.
Conformément à la représentation traditionnelle, il est chauve, et ses oreilles sont dessinées avec des lobes très longs, signe d’une sagesse qui ne manque pas de s’accorder au grand âge.
Mais, ici, sans les enfants qui l’entourent généralement, il a abandonné son bâton, et surtout son sac de toile [Budai 布袋 , en mandarin], qui lui a donné son nom.
Le personnage historique qui a donné naissance à ce Budaï, serait un moine boudhiste errant du nom de Zhang Dingzy, né à Fenghua dans la province de Zheijiang, mort en méditation vers 917.
Intégré aussi bien dans la pensée taoïste, que dans le shintoïsme populaire, un courant du boudhisme en fait l’incarnation bienveillante du Maitreya, le « bouddha du futur ».
FUKUROKUJÛ. 福禄寿
Placé en arrière-plan, ce vieillard barbu, semble ici marcher à grand-peine. Il s’appuie sur un long bâton à tête de dragon auquel est accroché un rouleau d’écritures sacrées, sur lequel le destin de toute chose est consigné.
On le reconnaît toujours à son crâne allongé que l’on devine sous le voile qui protège sa tête.
Son nom allie la chance [fuku], le bonheur [roku] et la longévité [ju]. On dit aussi parfois qu’il représenterait Lao-tseu.
JÛRÔJIN. 寿老人
Il est souvent représenté tenant un grand éventail, avec une tortue. Ou encore accompagné d’un cerf, également symbole de longévité, animal qu’il chevauche parfois, tandis que des grues lui tiennent compagnie.
Connu également au Japon sous le nom de Gama, il appartient à l’origine au panthéon taoïste, sous le nom de Soushen, comme une divinité stellaire australe, décidant pour chaque homme de l’heure de sa mort.
Ces deux personnages, Fukurokuju et Jûrôjin, sont plus ou moins interchangeables : tantôt ils ne forment qu’une seule personne, tantôt ils se divisent en deux vieillards distincts.
Leur vieillesse témoigne heureusement à tous que chacun peut atteindre un grand âge : aussi les désigne-t-on comme « vieillards donneurs de longue vie ».
UNE INÉPUISABLE COMPLEXITÉ.
Mais de telles descriptions ne sont faites que pour apporter un premier éclairage. S’en tenir là, prendre au pied de la lettre de telles explications serait méconnaître l’inépuisable complexité du contenu des croyances.
Tout d’abord il y a l’histoire qui par ses rejets et ses ajouts modifie peu à peu la signification que l’on prête à telle ou telle divinité.
Et surtout, on l’aura sans doute déjà compris, au Japon, les sensibilités religieuses ne s’excluent pas mais se superposent. Au Shintoïsme premier, animiste et polythéiste avec ses cultes agraires, s’ajoute, dès le cinquième siècle, le Boudhisme, avec ses cultes aux esprits défunts, qui venu de l’Inde, a pérégriné par la Chine et la Corée, s’épanouissant en une très grande variété d’écoles.
Aussi telle divinité appartient-elle aujourd’hui, aussi bien au shintoïsme qu’au boudhisme, avec s’il le faut une pincée de taoïsme fondamental…
Ne croyons pas pourtant qu’il faille remonter dans la nuit des temps, à l’origine de toute chose. La célébration de ces sept divinités réunies, aujourd’hui encore très populaires, ne commence qu’au XIVème siècle…