Le samedi 20 janvier 1844, le professeur de philosophie Adolphe Franck [1809-1893] est élu à l’Académie des Sciences morales et politiques, dans la section de Philosophie. Cette élection, acquise seulement au troisième tour, ne se fait pas sans difficulté. Soutenue expressément par Victor Cousin, elle prolonge la sécularisation déjà entreprise quelques années auparavant, lorsque Franck est reçu à l'agrégation de philosophie.
1844. L’ÉLECTION D’ADOLPHE FRANCK.Le samedi 20 janvier 1844, Adolphe Franck [1809-1893] est élu à l’Académie des Sciences morales et politiques, dans la section de Philosophie, l'une des cinq sections de l'Académie des Sciences morales refondée en 1832 [Philosophie ; Morale ; Législation, droit public et jurisprudence ; Économie politique et statistique ; Histoire générale et philosophique].
Âgé de trente-quatre ans, après avoir enseigné à Douai, juste après son agrégation et son doctorat [Toulouse, 1832] ; à Nancy et à Versailles, Adolphe Franck est depuis 1840, professeur de philosophie à Paris, au collège Charlemagne. Reçu en septembre-octobre 1840 à la toute nouvelle agrégation des Facultés [en même temps que Adolphe Garnier et Jules Simon] Adolphe Franck est autorisé à assurer un cours libre à la Faculté des Lettres de Paris.
Enfin, à partir de 1842, Adolphe Franck conçoit le projet d'un monumental Dictionnaire des sciences philosophiques, de près de trois mille cinq cents pages, projet mené à bien avec une équipe d'une trentaine de personnes, publié d'abord sous forme de volumes séparés qui paraissent, pour la première édition, de 1844 à 1852.
1832. V. COUSIN ET A. FRANCK : LA SECULARISATION DE LA PHILOSOPHIE.
Victor Cousin, président du jury du concours de l’agrégation de philosophie depuis 1830 [et qui le restera presque sans interruption jusqu’en 1850 inclus] a reçu Adolphe Franck, au concours d’octobre 1832.
Sont également cette année membres du jury : Frédéric Cuvier [1773-1838], Inspecteur général des études ; Jean Jacques Séverin de Cardaillac [1776-1845], Inspecteur de l’Académie de Paris ; Pierre Laromiguière [1756-1837], professeur de Philosophie à la Faculté des lettres de Paris ; Théodore Jouffroy [1796-1842], professeur adjoint d’Histoire de la philosophie moderne à la Faculté des Lettres de Paris, dans la chaire de Pierre Paul Royer-Collard, Histoire de la philosophie moderne.
Adolphe Franck est reçu premier, devant Jean Antoine Nougarède, déjà enseignant de philosophie et Pierre Lafaist [dit Lafaye] [1809-1867], tout récent ancien élève de l’École normale [1829], où il vient d’effectuer trois ans d’études.
Ce concours, cette réception et cette place ne sont pas anodines. En effet le concours d’agrégation pour la philosophie existe depuis 1825, et s’est déjà déroulé à quatre reprises : 1825, trois reçus ; 1827, cinq reçus ; 1830, cinq reçus ; 1831, trois reçus.
Mais Adolphe Franck est de confession juive. Et une convention tacite, sinon expresse, et depuis toujours appréciée comme allant de soi, imposée par les tenants de la religion catholique, faisait admettre comme inconcevable qu’on puisse nommer, pour l’enseignement public, à un poste de professeur agrégé, un candidat de confession juive. Non seulement Adolphe Franck est admis à concourir, mais il est reçu et reçu major.
C’est une victoire pour V. Cousin. Et l’on comprend l’anecdote généralement rapportée, selon laquelle il aurait déclaré à l’issue du concours : la philosophie est enfin sécularisée.
1832-1895. ANECDOTE TARDIVE AUX FINS D'EDIFICATION.
Soixante et un ans plus tard, en décembre 1893, Alfred Fouillée [1838-1912], professeur de philosophie à la Faculté des Lettres de Bordeaux, déjà correspondant de l'Académie des Sciences morales et politiques est élu comme membre titulaire au fauteuil d'Adolphe Franck, décédé le 11 avril 1893.
Et selon l'usage Alfred Fouillée rédige une Notice sur la vie et les travaux d'Adolphe Franck, qui paraît en 1895 dans les Compte-rendus des Séances et travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques [numéro 143].
Il y place l'anecdote suivante concernant la nomination d'Adolphe Franck à Douai : comme le nouveau professeur craignait que ses croyances israélites ne fussent l'occasion de quelques difficultés, Victor Cousin lui fit cette réponse pleine de libéralisme : « Si, dans votre enseignement, vous rencontriez sur votre chemin ce grand personnage historique qu'on nomme le fondateur du christianisme, est-ce que vous éprouveriez quelque scrupule à lui tirer votre chapeau ? ».
Et Fouillée de poursuivre : M. Franck donna si bien raison à Victor Cousin que, peu de temps après, l'aumônier du collège de Douai disait à son évêque : «Notre meilleur chrétien, et le plus ardent, est un israélite, c'est notre professeur de philosophie ».
1836. ARISTOTE ET SA LOGIQUE.
La préparation à l’élection pour l’Académie des Sciences morales et politiques, se fait pour Adolphe Franck avec le soutien affiché de V. Cousin, qui oriente son candidat dès 1835. En l’informant du sujet du Concours de l’Académie des Sciences morales, proposé par V. Cousin lui-même le 28 mars et 4 avril 1835, et repris par la section Philosophie : Discuter l'authenticité de l'Organum, le faire connaître par une analyse étendue, en faire l'histoire, apprécier la valeur de cette logique.
Mais A. Franck est hors délai pour remettre son Mémoire. Cependant V . Cousin l’encourage à publier son travail, qui paraît en 1838 : Esquisse d'une histoire de la logique, précédée d'une analyse étendue de l'Organum d'Aristote [Paris : Librairie classique de L. Hachette, Rue Pierre Sarrasin, n°12. In-8, XV-315 p.,M.DCCC.XXXVIII].
1839-1842. ADOLPHE FRANCK ET LES LECTURES PRÉALABLES.
Selon l’usage de l’Académie des Sciences morales, un candidat à l’élection, doit se présenter préalablement, bien avant les visites, et seulement s’il y est autorisé, à une sorte d’examen de passage collectif, qui consiste en une lecture d’un ou plusieurs Mémoires devant l’ensemble des membres réunis en une séance ordinaire, qui peuvent ainsi se former une opinion sur le futur impétrant.
Parlant, écrivant et lisant couramment l’allemand et l’hébreu, A. Franck consacre une partie de ses recherches érudites à l’étude de la Kabbale [terme souvent écrit à l'époque Kabale]. Il publiera en 1843 : La Kabbale ou philosophie religieuse des Hébreux [Paris : Hachette, in-8, IV-412 p., 1843]. L'ouvrage paraît avec une dédicace à V. Cousin, sous forme d'une longue lettre de remerciements. Il est réédité en 1889 et en 1892.
Préalablement à la sortie de son ouvrage, A. Franck, à l’initiative de V. Cousin, est autorisé à en lire des parties entières à l’Académie. Ces lectures, au nombre de trois, se répartissent sur une assez longue période, d’août 1839 à avril 1842.
Un premier Mémoire, lu par Adolphe Franck, dans la séance du 17 août 1839, pour établir l'authenticité des monuments kabalistiques, la manière dont ils se sont formés et transmis jusqu'à nous.
Un second Mémoire, lu par Adolphe Franck, quelques mois plus tard. Il s'agit de l'analyse étendue et approfondie des monuments kabalistiques et de la doctrine qu'ils contiennent. Franck y expose cette métaphysique souvent enveloppée de formes bizarres, mais qui mérite au plus haut degré de fixer l'attention du philosophe et du théologien.
Enfin un troisième Mémoire, lu par V. Cousin lui-même, Franck se trouvant à Pise, en Italie, pour se rétablir de maux de gorge. Cette lecture a lieu dans les séances des samedis 12 et du 19 mars, des samedis 16 et 23 avril 1842 : Sur l'origine de la Kabale, les sources premières où ont été puisés les principes élémentaires qui la composent.
À chaque fois ces textes font l’objet d’une publication dans les Mémoires de l’Académie royale des Sciences morales et politiques de l’Institut de France. Paris : Firmin-Didot, tome 1841 ; tome 1842].
Enfin, lorsque l’ouvrage paraît, en 1843, Victor Cousin se charge d’en faire à l’Académie un rapport verbal, qui en souligne les mérites.
1832. LA COMPOSITION DE LA SECTION DE PHILOSOPHIE.
Le 26 octobre 1832, l’ordonnance royale de Louis-Philippe, rétablit, sous le titre d’Académie des Sciences morales et politiques, la classe des Sciences morales et politiques, qui avait été supprimée, par l’arrêté consulaire du 3 pluviôse an XI [23 janvier 1803].
Dix nominations [le 26 octobre], puis une série d’élection [27 octobre, 8 décembre, 29 décembre] vont permettre de désigner les trente membres de l’Académie reconstituée.
Celle-ci se subdivise en cinq sections. Dans l’ordre convenu : Philosophie ; Morale ; Législation, Droit public et jurisprudence ; Économie politique et statistique ; Histoire générale et philosophique.
La section de Philosophie est alors composée, dans l’ordre des fauteuils : fauteuil 1, Antoine Louis Claude Destutt de Tracy [1754-1836] ; fauteuil 2, Joseph Marie Gérando [1772-1842] ; fauteuil 3, Victor Cousin [1792-1867] ; fauteuil 4, Pierre Laromiguière [1756-1837] ; fauteuil 5, William Frédéric Edwards [1777-1842] ; fauteuil 6, François Joseph Victor Broussais [1772-1838].
1832. LA POSITION PARTICULIÈRE DE VICTOR COUSIN.
Ce qui saute aux yeux, ce sont les différences d’âge. Victor Cousin vient tout juste d’avoir quarante ans. Il est quinze ans plus jeune que William Frédéric Edwards, qui a cinquante-cinq ans ; vingt ans plus jeune que Joseph Marie Gérando et que François Joseph Victor Broussais, qui ont chacun soixante ans ; trente-six ans plus jeune que Pierre Laromiguière, qui a soixante-seize ans, et enfin trente-huit ans plus jeune que Antoine Louis Claude Destutt de Tracy, qui a soixante-dix-huit ans.
V. Cousin est le chef de file de la nouvelle philosophie, éclectique et spiritualiste, opposée aux idéologues et au sensualisme de Condillac. Et il est, en 1832, le seul représentant de ce courant dans la section. Destutt de Tracy est un des fondateurs de l’Idéologie ; Laromiguière un représentant distingué, nuancé et tardif des idéologues, il commente et complète Condillac dans son enseignement ; Broussais a eu des mots très durs contre la nouvelle philosophie des kanto-platoniciens du journal Le Globe, autrement dit contre V. Cousin et ses disciples. Edwards, qui s’intéresse à la linguistique et l’anthropologie, et Gérando, qui s’est fait un nom dans la philanthropie ne sont pas expressément partie prenante dans l’opposition des deux camps.
Le temps va inexorablement jouer en faveur de V. Cousin.
1832-1838 LA LENTE PRISE DE POUVOIR DE COUSIN.
Au fur et à mesure des renouvellement des fauteuils, par suite du décès de leurs membres, V. Cousin va progressivement affirmer sa prédominance.
Tout d’abord avec l’élection de Jean Philibert Damiron [1794-1862], élu le 17 décembre 1836, au fauteuil 1, en remplacement de Destutt de Tracy [1754-1836], décédé le 9 mars 1836.
Puis le passage de Théodore Jouffroy élu dès le 6 avril 1833, dans la section de Morale, en remplacement du baron Joseph Dacier [1742-1833] puis transféré dans la section de philosophie, au fauteuil 4, le 9 décembre 1837, en remplacement de Pierre Laromiguière [1756-1837], décédé le 12 août 1837.
Enfin l’élection de Jules Barthélemy Saint-Hilaire [1805-1895], élu le 26 mars 1839, au fauteuil 6, en remplacement de l’adversaire irréductible, Victor Broussais [1772-1838], décédé le 17 novembre 1838.
Ainsi, à partir de mars 1839, sur les six membres de la section de philosophie, quatre appartiennent à la même école : Damiron, Cousin, Jouffroy, Barthélemy Saint-Hilaire.
Et lorsque Théodore Jouffroy meurt prématurément le 1er mars 1842, c’est encore un proche de V. Cousin qui est élu, le 30 avril 1842, en la personne de Charles de Rémusat [1797-1875], ancien ministre de l’Intérieur, dans le second ministère Thiers [mars-octobre 1840], ministère où Cousin lui-même a été ministre de l’Instruction publique. La physionomie de la section de philosophie ne s’est pas modifiée.
1842. FRANCK SE PRÉSENTE POUR PRENDRE DATE.
Adolphe Franck se présente à cette séance du 30 avril 1842, prévue pour l’élection de Charles de Rémusat [1797-1875], qui viendra remplacer Théodore Jouffroy, au fauteuil 4. Mais il pose sa candidature simplement pour prendre date.
En effet il a été placé par la section de Philosophie au quatrième rang, tandis que Charles de Rémusat a été placé au premier rang ; Félix Ravaisson [1813-1900] au deuxième rang ex æquo avec Louis Peisse [1803-1880] ; Jean Jacques Séverin de Cardaillac [1766-1845], au troisième rang.
Vient s’ajouter, au cours de la séance de l’Académie où on examine les candidatures, et à la suite de la demande de plusieurs membres, le nom de Louis Francisque Lélut [1804-1877], médecin de l’Hôpital de la Salpêtrière.
Sur vingt-quatre votants [il y a, à l'époque, à l’Académie des Sciences morales et politiques trente membres titulaires] dix-sept suffrages se portent dès le premier tour pour Charles de Rémusat. Six vers Francisque Lélut.
FRANCISQUE LÉLUT S’EST PRÉPARÉ.
Francisque Lélut s’est préparé à l’élection. Dès 1841, il a composé, à toutes fins utiles, une liste de ses divers travaux [Paris : imprimerie Cosse et G. Laguionie].
Et surtout il se présente devant les membres de l’Institut, en lisant à plusieurs reprises des Mémoires composés à leur intention.
Le 27 août et le 3 septembre 1842, Mémoire sur le siège de l'âme suivant les anciens, ou exposé historique des rapports établis par la philosophie ancienne entre certaines parties de notre organisation et les actes de la pensée. Publié dans Compte Rendu des Séances et Travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques, tome 2, pages 102-124.
Puis le 26 novembre 1842 : Mémoire sur la nature des rapports qui lient le cerveau à la pensée et sur les résultats probables de leur recherche. Publié dans Compte Rendu des Séances et Travaux de l'Académie des Sciences morales et politiques, 2, 299-323. Travail repris quelques semaines plus tard, sous un titre légèrement modifié, dans les Annales Médico-psychologiques (janvier et mars), tome 1, page 185 sq., nouvellement créées et dont il est parmi les premiers rédacteurs.
1842-1844. DEUX SIÈGES À POURVOIR.
Avec la mort d’Edwards [1777-1842], décédé le 23 juillet 1842, puis celle de Gérando [1772-1842], décédé le 10 novembre 1842, deux fauteuils sont à pourvoir.
Sous l’impulsion de V. Cousin, la section de Philosophie va déclarer aussi longtemps qu’elle le peut qu’il n’y a pas encore lieu de procéder aux élections pour remplacer les fauteuils vacants. Plus d’un an va s’écouler, et au 10 novembre 1843, il n’y a toujours pas de date confirmée pour les élections qui doivent avoir lieu.
Adolphe Franck est le candidat de V. Cousin.
De nombreuses candidatures se sont manifestées, dès le mois d’août 1842. Dans leur ordre chronologique : celle de l'imprimeur et écrivain Antoine Louis Guénard Demonville [1779-1859 ?], auteur d’une Philosophie primitive ; le docteur Francisque Lélut [1804-1877] ; le docteur Philippe Buchez [1796-1866] théoricien du catholicisme social ; Louis Peisse [1803-1883], conservateur des modèles et objets d’art de l’École des Beaux-arts, et traducteur des philosophes écossais ; l’homme de lettres Hyacinthe Azaïs [1766-1845], théoricien prolixe des Compensations dans les destinées humaines, par une lettre en novembre 1842 ; Adolphe Garnier [1801-1864] professeur adjoint de Philosophie à la Faculté des Lettres de Paris depuis 1842 ; puis à la suite du décès du baron de Gérando, le 10 novembre 1842, pour l’un au l’autre des fauteuils : Félix Ravaisson [1813-1900], lauréat de l'Institut en 1835, Inspecteur général des bibliothèques depuis 1839 ; le naturaliste et anthropologue Julien Joseph Virey [1775-1846]. Ces candidatures ne seront pas toutes retenues ; ni celle de Demonville, d’Azaïs, ou de Virey.
Parmi ces prétendants il y a surtout Francisque Lélut [1804-1877], médecin de l’Hôpital de la Salpêtrière, ni tout à fait spiritualiste, ni tout à fait matérialiste, qui s’est fait une réputation sulfureuse, avec son point de vue selon lequel Socrate est un fou et un halluciné. Le nom de Lélut avait été ajouté à la liste des candidats, à la demande de plusieurs membres de l’Académie, dès avril 1842, à l’occasion du remplacement de Jouffroy au fauteuil 4.
Finalement, pour les deux nouvelles élections, la date du 20 janvier 1844 est retenue.
1844. LA DIFFICILE ÉLECTION D’ADOLPHE FRANCK.
Au cours de la séance du samedi 20 janvier 1844, il est procédé à un double vote.
On commence par l’élection destinée à pourvoir au fauteuil 5 de William Frédéric Edwards [1777-1842], décédé le 23 juillet 1842.
Conformément aux usages la section de Philosophie avait classé, de son point de vue, les candidats ; sorte d’indication fournie à l’ensemble des membres de l’Académie et assez généralement respectée. Encore que dans les cas présents …
Avaient été placés par la section de philosophie, au premier rang et hors ligne Adolphe Franck ; en deuxième rang et ex-æquo, Félix Ravaisson [1813-1900] et Jean Bordas-Demoulin [1798-1859] ; en troisième rang et ex-æquo Émile Saisset [1814-1863] et Jules Simon [1814-1896].
Félix Ravaisson et Jules Simon se retirent avant l'élection ; manœuvre tactique voulue par V. Cousin, visant sans doute à éviter une trop grande dispersion des voix.
Mais au cours de cette première élection, selon une démarche qui n’avait sans doute pas été prévue, des bulletins se portent tout de suite sur le nom de Francisque Lélut, sans attendre la seconde élection, où il est déclaré, il est vrai dans un rang médiocre, comme candidat : Adolphe Franck et Francisque Lélut sont mis par les votants en situation de concurrence, pour ce fauteuil 5, alors que la candidature de Lélut se faisait normalement seulement pour la succession de Joseph Marie de Gérando, au fauteuil 2. Manière sans doute de faire barrage à l’élection de Franck. Et de remplacer un médecin [Edwards] par un autre médecin [Lélut].
Au premier tour de scrutin à la majorité absolue, sur 26 votants, Adolphe Franck obtient 10 suffrages, Francisque Lélut 8, Louis Peisse [1803-1883] 4 ; Philippe Buchez [1796-1866] 1 suffrage. Il y a 1 billet blanc.
Au deuxième tour, à la majorité absolue, Adolphe Franck obtient 12 suffrages ; Francisque Lélut 12 ; Louis Peisse 1 ; 1 billet blanc.
Un troisième tour, constituant le scrutin de ballotage à la majorité relative, assure enfin l'élection d’Adolphe Franck, avec une seule voix de majorité : Adolphe Franck 13, Francisque Lélut 12 ; 1 billet blanc. Le vote qui s’était porté au deuxième tour sur Louis Peisse, s’étant vraisemblablement reporté au troisième tour sur Adolphe Franck.
L’ÉLECTION DE FRANCISQUE LÉLUT.
Au cours de la même séance il est prévu de pourvoir à la succession de de Gérando [1772-1842], au fauteuil 2, décédé le 10 novembre 1842.
La candidature de Francisque Lélut [1804-1877], médecin de l’hôpital de la Salpêtrière, n’a guère reçu le soutien de la section de philosophie. Autrement dit celui de V. Cousin. L’ordre de présentation des candidats en témoigne : ont été placés par la section de philosophie, au premier rang Louis Peisse [1803-1880], au deuxième rang et ex-æquo, dans l’ordre alphabétique, le médecin et théoricien politique du catholicisme social Philippe Buchez [1796-1865] ; le médecin Frédéric Dubois d'Amiens [1797-1873] futur secrétaire perpétuel de l'Académie royale de Médecine ; Adolphe Garnier [1800-1864] professeur de Philosophie à la Faculté des lettres de Paris ; Francisque Lélut [1804-1877].
Au premier tour de scrutin sur 26 votants, à la majorité absolue, Francisque Lélut obtient 12 suffrages ; Louis Peisse 9. Il y a 5 billets blancs.
Au deuxième tour, à la majorité absolue, Francisque Lélut 11 ; Louis Peisse 9 ; Adolphe Franck 1. Il y a 5 billets blancs.
Au troisième tour, constituant le scrutin de ballotage à la majorité relative, Francisque Lélut obtient 14 suffrages, Louis Peisse 11, 1 billet blanc. Francisque Lélut est élu.
NOMBRE ÉLEVÉ DE BILLETS BLANCS.
Chaque électeur écrit sur le bulletin de vote, le nom de son choix. Mais il lui est possible, également, de n’écrire aucun nom et de remettre plié dans l’urne son bulletin blanc, appelé aussi dans ce cas un billet blanc.
C’est manifester ainsi son désaccord, et sa mauvaise humeur, quant au choix qui a été fait des candidats ou quant aux conditions de l’élection.
Le billet blanc, dans des cas encore plus rares, est marqué d’une croix.
Dans beaucoup d’élections, il n’est pas fait usage de billets blancs, et quand il y en a, le nombre de billets est généralement faible, ne dépassant pas un ou deux.
Cinq billets blancs, c’est un nombre élevé de protestataires. Au dernier tour de scrutin un certain nombre de ces billets blancs se reporteront aussi bien sur Louis Peisse, que sur Francisque Lélut.
LE CAS DE LOUIS PEISSE.
Après des études de médecine à Montpellier et des articles rédigés pour la Gazette médicale de Paris, Journal de médecine créé en 1830, Louis Peisse [1803-1883] se rend à Paris, devient collaborateur d’Armand Carrel au National, et écrit aussi bien sur la médecine, le magnétisme animal, les beaux-arts, la philosophie. Ainsi Louis Peisse fait paraître dans le National [n° 25, 25 septembre et 29 octobre 1833] plusieurs articles reprenant les objections faites à l’égard de V. Cousin par William Hamilton, professeur à l’Université d’Edinburgh, dans l’Edinburgh Review [n° 33, octobre 1829], articles appréciés par Cousin. Puis, sept ans plus tard, en 1840, un Examen de la Préface de la deuxième édition (1833) des Fragmens philosophiques de M. Victor Cousin [Paris, 1840].
En 1835 devient, grâce à l’appui d’Adolphe Thiers, alors ministre de l’Intérieur, conservateur des modèles et objets d’art de l’École des Beaux-arts, à Paris. La Revue des Deux-Mondes lui confie les articles sur le Salon, de 1841 à 1844.
Il se livre aussi à une importante activité de traduction d’ouvrages de philosophie de l’École écossaise : en 1840, les Fragments de philosophie de William Hamilton ; en 1843-1845, les trois volumes des Elements of the Philosophy of the Human Mind de Dugald Stewart.
Louis Peisse avait préparé soigneusement sa candidature. D’une part en rédigeant, sous forme d’une brochure, une : Note contenant l'indication des ouvrages de M. Louis Peisse, candidat aux places vacantes à l'Académie des sciences morales et politiques de l'Institut, section de philosophie, par la mort de MM. Edwards et Degérando [Paris : Impr. de F. Malteste, in-4, 4 p., s. d.].
D’autre part, en étant admis à communiquer devant les membres de l’Académie des Sciences morales et politiques, un fragment de son travail qu’il a engagé, pour sa prochaine édition de Cabanis, sur les Rapports du physique et du moral de l’homme, et sur la manière dont on a considéré les rapports entre les diverses écoles philosophiques et médicales, depuis Descartes jusqu’à nos jours [séance du samedi 16 décembre 1843].
Cette lecture a lieu dans les séances des samedi 16 et 30 décembre 1843.
Enfin la présentation en première ligne par la section de Philosophie manifestait le soutien de cette section à l’égard de sa candidature.
Mais, il faudra que Louis Peisse attende plus de trente ans, le 15 décembre 1877, pour être enfin élu à l’Académie des Sciences morales et politiques, section de philosophie [fauteuil 2], justement en remplacement de son concurrent Francisque Lélut [1804-1877], décédé le 25 janvier 1877.
Il aura, entre temps, continué son travail de traduction : en 1844, de l'italien en français, un ouvrage de Pasquale Galluppi [1770-1846], sous le titre Lettres philosophiques sur les vicissitudes de la philosophie relativement aux principes des connaissances humaines, depuis Descartes jusqu'à Kant, où un chapitre entier est consacré à V. Cousin ; en 1866, de l’anglais en français, de John Stuart Mill, Système de logique déductive et inductive, exposé des principes de la preuve et des méthodes de recherche scientifique.
LE CAS DE BUCHEZ.
Philippe [Joseph Benjamin] Buchez [1796-1865], médecin et théoricien du catholicisme social, a publié en 1833 une Introduction à la science de l’histoire, ou science du développement de l’humanité, réédité en 2 volumes en 1842 [Paris : Guillaumin, 2 volumes in-8, 1842].
Il vient de fonder le journal L’Atelier en 1840.
Préparant son élection à l’Académie des Sciences morales, il a été autorisé, dans la séance du samedi 28 octobre 1843, à lire un mémoire ayant pour titre : Recherches sur l’origine des variations de la philosophie.
Il ne sera jamais élu à l’Académie des sciences morales et politiques.
LE CAS DE FRÉDÉRIC DUBOIS D’AMIENS.
La candidature du médecin Frédéric Dubois d'Amiens [1797-1873], membre de l’Académie de médecine [1836], exprimée en août 1842, au lendemain du décès d’Edwards est retenue par la section de philosophie.
Frédéric Dubois d'Amiens [1797-1873] a préparé son élection par la lecture de plusieurs Mémoires à l’Académie des Sciences morales et politiques :
Un premier Mémoire en novembre 1842 : De l’Antagonisme des naturalistes et des philosophes dans l’étude des phénomènes intellectuels. [et inséré dans tome 2 des Compte-rendus et travaux de l’Académie des sciences morales et politiques, pages 285 sq.].
Un deuxième Mémoire en février 1843 : Examen critique des doctrines de M. Broussais, pour faire suite au mémoire sur l’Antagonisme des naturalistes et des philosophes, dans l’étude des phénomènes intellectuels [samedi 4 février et samedi 18 février 1843, samedis 3 et 10 juin 1843].
Un troisième Mémoire en novembre 1843 : Des limites de l