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Sénecé* 
Plainte de Médor sur le massacre des chiens
ordonné par la police de Mâcon, à l'occasion du bruit
qui couroit des chiens enragés, etc.

 















 































 















Médor, ce chien si fidèle et si cher
Au vieux Damon, la queue entre les jambes
Endoctriné par son courroux amer
Grinçoit les dents et grondoit ces iambes.

O désespoir! ô destin ennemi !
Que sert l'amour, que sert la gentillesse ?
Tout est perdu! La Saint-Barthélemi
Est dénoncée à toute notre espèce.

Loups carnassiers, égorgez nos moutons;
Rusés renards, étranglez nos poulardes
Voleurs de nuit, saccagez nos maisons,
On a proscrit leurs vigilantes gardes.

Hommes pervers, dont la perversité
Masque son front d'un voile de police,
Pour un matin de rage tourmenté,
Faut-il, cruels, que la race périsse !

S'il est ml chien de ce mal soupçonné,
Pour éviter qu'il ne se communique,
Juste est sa mort: qu'il soit assassine;
Mais pour les sains, la sentence est inique.

Envelopper un massacre de chien
Bons et mauvais, c'est terrible manie.
Caligula, Néron, Domitien,
N'exercoient point si dure tyrannie.

Vous l'adoptez, ce souhait inhumain,
D'un de ces trois, pire que la tempête,
Quand il disoit à son peuple romain :
Oh! si ces chiens n'avoient tous qu'une tète !

O genre humain, mille fois plus que nous
Gens enrages! avez-vous le courage
Aiguillonnés par un transport jaloux
D'exterminer vos compagnons de rage ?

Et qui de vous, de quelque passion
Se trouve exempt, plus que rage funeste,
Rage d'amour, rage d'ambition,
Rage d'orgueil, pire que tout le reste.

Pour éviter cette contagion,
En quel endroit la prudence civile
Est-elle allée à la précaution
De massacrer les faubourgs et la ville ?

Combien de fois et la femme de bien
Et la coquette (acte à crier vengeance !)
De male-rage, ont accusé leur chien,
Qu'elles avoient d'aller voir la Provence.

Ah! que le ciel est bien désabusé
De cette peur qui tant vous estomaque
L'air égaré, rouge et l'oeil embrasé,
La canicule y court le Zodiaque.

En plein mois d'août, libre en son action,
Elle y poursuit sa route naturelle,
Et cependant la vierge et le lion
Ne craignent point être mordus par elle.

Dans la maison, comme dans un tombeau,
Je suis blotti, crainte qu'on ne me tue,
Et n'ose plus (bien qu'il soit assez beau)
Montrer mon nez, non plus qu'une tortue.

O liberté, je n'ai plus ce congé
D'aller courir, comme j'avois coutume :
Chacun sur moi criroit à l'enrage;
Tirez sur lui, voyez comme il écume !

Plus je ne puis, de tout plaisir exclus,
Aller quêtant d'amoureuse conquête.
Las ! je ne puis, misérable reclus,
Aller flairant où les chiens se font fête.

Quand viendra-t-il, ce bienheureux hiver,
Nous délivrer de nos craintes tragiques?
Quand viendra-t-il, gens de flamme et de fer,
Vous garantir de vos terreurs paniques ?

O Musulmans, peuple morigéné,
Qu'avec raison partout on vous renomme!
Vous nourrissez les chiens abandonnés,
Et sans pitié le chrétien les assomme.

Qu'ils soient vilains, décrépits ou galeux,
Qu'ils viennent seuls ou qu'ils marchent en troupe,
Dans lhôpital chez vous bâti pour eux,
Toujours ils ont le couvert et la soupe.

Vive Stambol et vive Mahomet
C'est le prophète et le sauveur des bêtes
En paradis il a mis son baudet,
Et pour les chiens çà bas fondé des fêtes

Ainsi Médor hurloit, lorsque Damon
Homme paisible et craignant la justice
Lui vint apprendre, à l'aide d'un bâton
A murmurer contre dame police.