| Bibliophilie | Page d'accueil. Home page | Adhésion
Examen littéraire et
grammatical des deux dernières traductions de Tacite par M.
Burnouf et M. C.L.F. Panckoucke par un membre de l'université,
vers 1830. Extrait
. Post scriptum
|
|
Histoires
Livre I Dès-lors la vérité fut outragée de diverses manières, d'abord par l'inhabitude d'un gouvernement qui semblait étranger, ensuite par l'esprit de flatterie, enfin par la haine contre les maîtres de Rome : aussi nulle pensée pour la postérité chez ces esprits offensifs ou serviles. (Trad. de M. Panckoucke.) " Plusieurs causes, " dans la première traduction, ne rend pas exactement pluribus modis. La faute est légère quant au sens, mais grave quant à l'expression. Cette manière de traduire ne donne point une juste idée du style de Tacite, qui est toujours plus vif et plus serré. " L'ignorance d'intérêts politiques où l'on n'avait plus de part." - Il nous semble que cette traduction aurait elle-même grand besoin d'être expliquée. L'ignorance d'intérêts politiques, n'est ni clair ni bien français. Il s'agit de l'ignorance des formes nouvelles que la révolution romaine avait introduites, et auxquelles on n'était pas fait. Le traducteur est loin de prouver qu'il ait compris le sens de ce passage, qui nous semble très-bien rendu dans l'autre version. " Quelquefois aussi la haine, etc. " - Quelquefois n'est pas dans le texte. L'auteur ne dit pas que cette cause ait été moins active que les autres, et il ne fallait point ajouter à sa pensée. Nous relevons cette faute, parce qu'elle revient sonvent dans le travail du savant professeur, que cette prétention d'expliquer ou de compléter la pensée de Tacite fait tomber dans beaucoup d'inexactitudes et de faux sens. " Tous oubliaient également la postérité. " - Nous ne pouvons approuver cette manière d'écrire, qui ressemble trop à ce jeu de mots : la prophétie du passé. Tant de recherche et d'affectation ne va point au style sévère de Tacite. Peut-être le traducteur, à qui nous reprochons de toujours viser à une élégance déplacée , n'est-il coupable ici que d'inadvertance ; mais la faute n'en subsiste pas moins. L'autre version nous semble incontestablement supérieure sous le double rapport du sens et de l'expression. 2. Dignitatem nostram a Vespasiano inchoatam. " Vespasien commença mes honneurs. " Bf. Vespasien commença ma fortune. K. M. Burnouf oublie souvent la langue dans laquelle il écrit "commencer des honneurs" ne fut jamais français. 3. Sed incorruptam fidem professis. " Mais un historien qui se consacre à la vérité." Bf. Mais quiconque professe un amour inaltérable pour la vérité. Pk. Il semble que M. Burnouf tienne surtout à éviter les expressions simples et naturelles. " Se consacrer à la vérité " est une preuve de cette manie de vouloir embellir Tacite, qui n' aboutit la plupart du temps qu'à défigurer sa pensée. II. 4. Mota etiam prope Parthorum. arma falsi Neronis ludibrio. " Le Parthe lui-même prêt à courir aux armes pour un fantôme de Néron. " Bf. Les Parthes près de courir aux armes, jouets d'un faux Néron. Pk. "Le Parthe lui-même" fausse la pensée de l'historien, en faisant d'une question de guerre, une question de peuple. Nous eûmes à craindre même une guerre contre les Parthes, etc., tel est le sens. " Le fantôme de Néron " nous semble ici très-impropre, et même ridicule. Pourquoi prêter de l'imagination à Tacite? 5. Et urbs incendiis vastata, consumptis antiquissimis delubris, ipso ; Capitolio civium manibus in censo ; pollutae caerimoniae ; magna adulteria; plenum exsiliis mare; infecti caedibus scopuli. Atrocius in urbe saevitum : nobilitas, opes, omissi gestique honores pro crimine, et ob virtutes certissimum exitium. Nec minus praemia delatorum invisa quam scelera : quam alii sacerdotia et consulatus ut spolia adepti, procurationes alii et interiorem. potentiam, agerent, ferrent cuncta. "Des villes abîmées ou ensevelies sous leurs propres ruines, dans la partie la plus riche de la Campanie ; Rome désolée par le feu, voyant consumer ses temples les plus antiques ; le Capitole même brûlé par la main des citoyens : les cérémonies saintes profanées; l'adultère dans les grandes familles ; la mer couverte de bannis ; les rochers souillés de meurtres; des cruautés plus atroces dans Rome : noblesse, opulence, honneurs refusés ou reçus, comptés pour autant de crimes, et la vertu devenue le plus irrémissible de tous; les délateurs, dont le salaire, ne révoltait pas moins que les forfaits, se partageant comme un butin sacerdoces et consulats, régissant les provinces, régnant au palais, menant, tout au gré de leur, caprice." Bf. Des cités englouties ou renversées sur les rivages féconds de la Campanie; Rome dévastée par le feu; nos plus anciens temples consumés par les flammes; le Capitole incendié par les mains de nos concitoyens; nos cérémonies profanées; de grandes familles flétries d'adultères; la mer couverte d'exilés, ses rochers souillés de meurtres. Dans Rome, la cruauté alla plus loin encore : biens, noblesse, dignités acceptées ou refusées, devenus des crimes, et la mort infaillible partage des vertus; les délateurs, encouragés par des, récompenses non moins abominables que leurs forfaits s'emparant comme de dépouilles, les uns des sacerdoces et des consulats, d'autres de l'administration des provinces et de la puissance intérieure, portant partout le trouble et leur rapacité. Pk.
"Rome, etc., voyant consumer ses temples, etc." - Rome désolée
par le
Toutefois le siècle ne fut pas tellement stérile en vertus, qu'il n'ait aussi produit d'honorables exemples : des mères compagnes de leurs enfans fugitifs, des épouses suivant leurs maris en exil ; des parens courageux, des gendres dévoués, des esclaves d'une fidélité à l'épreuve même des tortures ; d'illustres personnages réduits aux dernières extrémités, inébranlables en ce malheur extrême, et des trépas comparables aux plus belles morts de l'antiquité. Outre cet assemblage d'évènemens humains, des prodiges partirent dans les airs et sur la terre ; le ciel nous avertit par ses foudre, l'avenir nous fut annoncé par des présages, heureux, tristes, obscurs, évidens : et jamais calamités plus terribles, indices plus certains, n'apprirent au peuple romain que les dieux ne veillaient plus à sa prospérité, mais à leur vengeance. Pk. "On y vit aussi briller de beaux exemples" nous semble peu français. D'ailleurs l'image du latin n'est pas conservée, et bien à tort, car après sterile il fallait nécessairement prodiderit pour que l'opposition fût parfaite. M. Panckoucke traduit plus littéralement, et nous ne voyons pas que sa version en soit moins élégante. "Des mères accompagnèrent, etc." - Tacite ne fait pas un récit, mais un tableau. Le traducteur se montre infidèle en substituant la forme qui raconte à la forme qui peint. "Des têtes illustres" sont la traduction poétique de clarorum virorum; mais elles offrent une image aussi fausse que repoussante : on croit qu'il s'agit de têtes coupées. Il ne fallait pas craindre de traduire plus simplement, pour éviter le mauvais goût. "Les voix prophétiques de la foudre" méritent le même reproche d'enflure et de prétention. Le texte porte fulminurn monitus. Nous croyons d'ailleurs que les voix prophétiques ne peuvent se dire et qu'il faudrait la voix prophétique : la foudre n'a qu'une voix. "Non, jamais." - Ici toute la beauté de la phrase latine est disparue. Cette exclamation froide, fausse et déclamatoire non, jamais n'est ni dans l'expression, ni dans la pensée de Tacite. Et jamais calamités plus terribles, indices plus certains, etc., dit très-bien M. Panckoucke , qui se garde bien d'ôter à ce dernier trait du tableau, à cette réflexion triste et grave, sa forme simple et majestueuse, en changeant la tournure de la phrase, et en même temps le ton général du morceau, comme fait M. Burnouf. A ce contre-sens, qu'on peut appeler moral, se joint le contre-sens tout matériel qui termine la citation. Nous ne comprenons pas que M. Burnouf y soit tombé ; car sa traduction ne présente même aucun sens raisonnable qui ait pu le séduire. Non esse curae deis securitatem, nostram, esse ultionem ne peut se traduire autrement que ne l'a fait M. Pauckoucke. Si l'on veut sous-entendre nostram devant ultionem, il faut alors rendre ce mot par châtiment, vengeance tirée de nous, et ce latinisme n'est point rare dans les auteurs; sinon il faut sous-entendre suam, ou ne rien sous-entendre du tout : on arrive toujours au même sens, taudis que celui de M. Burnouf, qui peut être, jusqu'à un certain - point, justifié par les mots, ne saurait se défendre devant la raison. IV. 7. Ut non modo casus eventusque rerum, qui plerumque fortuit sunt, sed ratio etiam causaeque noscantur. "Afin que ne se bornant pas à connaître le dénoûment et le succès des affaires, qui sont l'ouvrage du hasard, on en découvre la marche et les ressorts cachés." Bf. Ainsi l'on apprendra non-seulement les évènemens et leurs résultats, souvent effet du hasard, mais aussi leur marche et leurs causes. Pk. "Ne se bornant pas" annonce beaucoup d'irréflexion dans la manière dont traduit M. Burnouf : nous en verrons plus loin d'autres exemples. La pensée de Tacite est ici entièrement faussée. L'historien ne dit point qu'il ne faut pas que le lecteur se borne à connaître, mais que lui, historien, ne doit pas se borner à faire connaître au lecteur, etc. |
© Textes Rares